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Guy a un travail d'été

Depuis le début de sa carrière de bédéiste, Guy Delisle nous a beaucoup fait voyager. Dans Chroniques de jeunesse, c’est vers son passé qu’il nous entraîne.

Bande dessinée

Depuis le début de sa carrière de bédéiste, Guy Delisle nous a beaucoup fait voyager. Dans Chroniques de jeunesse, c’est vers son passé qu’il nous entraîne.

Guy Delisle n’en est pas à sa première bande dessinée autobiographique. Ses chroniques de villes étrangères ont fasciné son lectorat – pensons à Shenzhen et à Pyongyang, toutes deux éditées à Pow Pow en 2019 –, tandis que ses albums ancrés dans son quotidien familial, dont les quatre tomes de son Guide du mauvais père (Shampoing, 2011-2018), ont amusé la galerie.

Et si l’auteur raconte une histoire dans laquelle il n’est pas personnellement impliqué, c’est parce qu’il connaît son sujet à fond, comme il l’a prouvé avec son chef-d’œuvre S’enfuir: récit d’un otage (Dargaud, 2016). Dans son plus récent livre Chroniques de jeunesse, récit initiatique qui s’échelonne sur trois étés, il nous explique comment il en est venu au dessin. Encore une fois, le résultat est fascinant.

La vie de shop

Étudiant en arts plastiques au cégep, le narrateur passe ses vacances scolaires dans une usine de pâte et papier. Il hérite des quarts de nuit, ce qui lui laisse la journée pour dessiner. Au boulot, le bruit et la chaleur sont presque intolérables. Heureusement, il y a des périodes creuses la nuit. Les longues heures permettent au protagoniste de se plonger dans les classiques de la littérature universelle, de Cent ans de solitude (1967), de Gabriel García Márquez, à Des souris et des hommes (1937), de John Steinbeck.

C’est aussi l’occasion pour lui de travailler au même endroit que son père, un dessinateur industriel qui habite seul en appartement et parle très peu, sinon de sa profession. Au cours des trois années suivantes, ils se croisent rarement, sauf au moment des visites saisonnières du fils au logement du paternel. Le bédéiste ne tombe pas dans la psycho-pop de type «père manquant, fils manqué»; au contraire, il expose la relation filiale sans la dramatiser, révélant par la même occasion une déception plutôt qu’un traumatisme.

Toute une faune gravite autour du narrateur de Chroniques de jeunesse. Pour les pauses communes, les ouvriers se retrouvent dans un petit local où trône une télévision. Les discussions ne volent pas toujours haut. L’aspirant dessinateur y rencontre des hommes âgés qui ont abandonné l’espoir d’une vie meilleure, des plus jeunes qui prennent plaisir à intimider les travailleurs étudiants ainsi que des personnages hauts en couleur, comme un employé beaucoup trop amical envers les débutants et un type sympathique à la musculature impressionnante. De tels liens ouvrent l’esprit du jeune étudiant, mais l’auteur n’insiste pas trop sur leur importance: il laisse les lecteur·rices en juger.

Au cours du deuxième été passé à l’usine, le jeune Guy fréquente une nouvelle bibliothèque située près de chez lui. C’est alors qu’il découvre véritablement la bande dessinée: il se plonge dans les œuvres d’auteur·rices et affine ses goûts. Il apprend également qu’il est accepté dans une école d’animation de Toronto.

C’est beau, l’expérience

Ce qui m’a toujours plu dans les livres de Delisle, même dans ceux qui m’apparaissent un peu moins réussis, c’est la propension de l’artiste à insérer dans ses intrigues nombre de détails a priori sans intérêt. Ces derniers finissent toutefois par s’accumuler et apportent une finesse au propos. Chroniques de jeunesse poursuit cette heureuse tradition. D’abord, soulignons la qualité hors pair du dessin: l’imposante machinerie et l’usine sont illustrées avec soin et raffinement. Le meilleur exemple d’orfèvrerie se retrouve dans les cases où les tâches que le protagoniste doit accomplir sont expliquées de long en large. Certaines exigent de la minutie, d’autres simplement «du bras», mais toutes sont cruciales pour que le produit fini, le papier, soit réussi. De telles tâches évoquent aussi celles liées à la création d’une bande dessinée. Mais ce n’est pas tant sur le processus créateur que porte Chroniques de jeunesse, mais bien sur ces années formatrices où le caractère et les intérêts de chacun s’affirment.

Sans prétention, Guy Delisle nous brosse un portrait de ce qu’il était à la sortie de l’adolescence. Pour terminer, j’aimerais citer les mots du narrateur. Ce dernier, après avoir vu un employé expérimenté ranger un lourd boyau d’un seul mouvement de bras, s’exclame: «C’est beau, l’expérience!» En refermant l’album, j’ai pensé la même chose.

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Guy Delisle
Montréal, Pow Pow
2021, 160 p., 24.95 $