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Fréquenter les artistes

Fréquenter les artistes

Après le roman Un bus pour Tokyo paru en 2015, Jean-Sébastien Huot revient à ses premières amours, la poésie, s’inspirant d’œuvres picturales ou littéraires qui témoignent de son éclectisme et de sa curiosité.

Thématique·s
Poésie

Après le roman Un bus pour Tokyo paru en 2015, Jean-Sébastien Huot revient à ses premières amours, la poésie, s’inspirant d’œuvres picturales ou littéraires qui témoignent de son éclectisme et de sa curiosité.

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Disons d’emblée que Jean-Sébastien Huot, né en 1971 et cofondateur dans les années 1990 de la revue Gaz Moutarde, professeur de littérature au cégep de Sherbrooke, n’avait pas publié de poésie depuis 1993. Aussi ne s’étonnera-t-on pas qu’aucun sentiment d’urgence ne se dégage du présent livre, Suie. Plus important — car l’urgence n’a au fond rien à voir avec la poésie —, l’intérêt et l’utilité de ces pages pour le moins opaques ne nous apparaîtront que vers la fin, quand le poète aura aiguisé sa plume et peaufiné son style:

Je n’engendrerai pas ces sciences exactes
Ni ces dépouilles autour de leurs chiffres
Mais témoignerai des dieux sur terre.

Pourquoi écrire?

Mais alors, lancé depuis le début à la recherche d’un sens qu’il aura eu du mal à trouver, le lecteur se dira peut-être: «trop peu, trop tard». Idéalement, un recueil de poèmes doit combler un vide dans l’ensemble de la production. Il doit nous convaincre que nous l’attendions sans le savoir, que nous avions besoin de lui.

Plus important encore, les poèmes doivent dessiner avec un minimum de clarté l’intention de leur auteur — à défaut de son portrait. On dit parfois que lire de la poésie «fait du bien». Pour cela, encore faut-il qu’elle nous transporte, nous questionne, qu’elle nous choque ou nous réconforte. Lumineuse ou sombre, minimaliste ou foisonnante, révolutionnaire ou conventionnelle, la poésie nous remet au monde parce qu’elle nous ébranle.

Certes, l’écriture de Suie a dû représenter pour son auteur une descente en lui-même et une avancée significative dans sa réflexion de créateur. Il n’en reste pas moins que pour le lecteur, il s’agit là d’un projet décousu qui le pousse à se poser une question cruciale: «Pourquoi écrire?» Ou encore: «Faut-il vraiment écrire?»

La longue citation en exergue de Guy Walter laisse entendre que le poète va nous parler sans ménagement, qu’il se mettra «dans une lumière crue». Inutile d’être féru de psychanalyse pour remarquer que le livre de Huot, comme une suite logique à ce vœu, échafaude petit à petit un paradigme de la blessure et un lexique réunissant tout ce qui coupe, lacère, clou, hache, creuse, explose, saigne, sombre, dissèque, défonce, perfore, égorge, étripe, entaille et écartèle.

Souvent écrits à la première personne du pluriel et au futur simple — au début du moins —, beaucoup de poèmes s’inspirent d’une œuvre picturale ou littéraire, jamais contextualisée. Ce dialogue restera secret cependant, car le lien n’est pas évident. Puis, quelque part, il est question de renaître «après l’attentat». Or rien dans les pages précédentes ne nous a préparés à ladite attaque et à une telle résurrection. Quelques belles phrases se dégagent pourtant et viennent éclairer le livre: «Nous ferons avec nos lèvres un pain pour la nuit. Nous quitterons chemises et cartes du monde.» Une note en bas de page indique que ce petit poème en prose est inspiré des Tragiques de Théodore Agrippa d’Aubigné, poète baroque français du XVIe siècle et calviniste. La page suivante est cependant plus obscure et n’est pas sans rappeler l’écriture automatique si chère aux surréalistes d’il y a un siècle, quand une poignée d’auteurs et d’artistes se sont donné pour mission de transgresser tous les tabous et d’abattre les barrières esthétiques érigées au fil des siècles par une bourgeoisie bien-pensante.

Notre peau fondue dans le Cosmetic World pleure les brouillons d’écoliers fauchés par une arme à répétition. Quand voudrons-nous prouver notre soif, nous anéantir parmi les figures peintes des poupées russes?

L’art de l’abandon

Avec ses références aux artistes et aux écrivains, le livre donne une impression de dispersion que le lecteur n’arrive pas à dépasser malgré la vaste culture dont tient à faire preuve Jean-Sébastien Huot. Sans trop en comprendre la raison, on se promène de Jean-François Millet à Bengt Lindström, en passant par James Ellroy, El Greco, saint Jacques le Majeur et García Lorca, sans oublier Hölderlin, que tout le monde connaît mais qu’à peu près personne n’a lu. Se profile ensuite l’ombre géante d’un Walmart. Du dispersement à l’absence de motivation, il n’y a qu’un pas, et l’on se dira que le poète, malgré un sens parfois aigu de la métaphore («Nous sommes une venaison repliée sur la nuit»), avait bien peu de choses à (nous) dire.

Nous sommes tous, chacun de notre côté, convaincu de posséder une expérience digne du plus grand intérêt, encore est-il nécessaire de la transposer dans une forme qui soit audible. Pour se donner au lecteur, il faut s’abandonner à son art. L’hermétisme n’est pas toujours synonyme de finesse ou de profondeur. Et la clarté, la simplicité du propos ne confinent pas forcément au populisme, nous en avons ici un bel exemple.♦

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Jean-Sébastien Huot
Montréal, Les Herbes rouges
2017, 78 p., 15.95 $