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Féminisme et laïcité

Soucieux de dénoncer un islam politique qui exploite la religion à ses fins, l’ouvrage fait peu de place à la façon dont cette foi pourrait se vivre aujourd’hui en Occident.

Essai

Soucieux de dénoncer un islam politique qui exploite la religion à ses fins, l’ouvrage fait peu de place à la façon dont cette foi pourrait se vivre aujourd’hui en Occident.

Des livres sur ce thème sont nécessaires. Pourtant, celui d’Osire Glacier, Femmes, Islam et Occident, aborde moins comment l’islam pourrait se vivre, pour les femmes, en Occident, qu’il ne vise à démontrer la modernité des féminismes existant dans les pays arabes: «les femmes arabo-musulmanes se mobilisent, depuis le siècle dernier, sous forme de mouvements féministes modernes et structurés». Tout en prétendant reconnaître un féminisme arabo-musulman aux divers visages, les militantes actuelles données en exemple semblent être celles qui se conforment le mieux aux modèles réputés modernes du féminisme occidental, notamment par la laïcité et la réclamation du corps à travers l’exposition de sa nudité.

Le livre s’adresse ainsi à — et est écrit depuis — la «diaspora musulmane», dans le souci d’en faire ressortir la diversité culturelle ou les «identités plurielles», «allant des individus athées à des individus qui ont choisi une spiritualité qui ne se rattache à aucune tradition religieuse, en passant par des personnes croyantes et tolérantes». On voit ici que, dans l’éthos pourtant dit pluriel de ce groupe nouvellement constitué, est évitée la question de la pratique religieuse. Le public visé est en dernière analyse celui du Québec: «Dans ce livre, la sélection des textes traitant de l’histoire des femmes et des féminismes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient des temps anciens à nos jours vise à déconstruire la croyance populaire selon laquelle la diaspora musulmane représenterait une menace à l’égalité des sexes au Québec.»

Un islam politique

Au demeurant, à l’exception des chapitres «Les femmes, l’islam et quelques réformistes» et «Islam, État, citoyenneté et discours de laïcité», soit deux chapitres sur huit, d’ailleurs fort intéressants, il est assez peu question d’islam — en tout cas de la religion. L’angle privilégié est plutôt celui du politico-culturel:

Dans l’état actuel des choses, les expressions de la culture et de la religion en Afrique du Nord et au Moyen-Orient sont un produit politique. Concrètement, les régimes autoritaires et patriarcaux dans cette région du monde instrumentalisent la religion dans le but de perpétuer leur pouvoir et leurs privilèges, et ce, au détriment du progrès des populations. Le terrorisme, les fondamentalismes religieux et les pratiques religieuses anachroniques sévissant dans l’espace public, que ce soit en Occident ou dans les pays musulmans, puisent leurs racines dans les inégalités sociales et internationales.

Une grande part de l’effort de la démonstration porte ainsi sur les institutions politiques des pays musulmans du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord — en particulier le Maroc, dont l’auteure est originaire. Dans ce domaine, la critique d’Osire Glacier est au demeurant tout à fait juste.

Une défense de la laïcité

Cependant, lorsqu’elle évoque les «cas controversés» qui, en Occident, «ont tendance à stigmatiser deux identités que tout semble opposer» («D’un côté, il y a eux, l’Islam, l’obscurantisme; et de l’autre, nous, l’Occident, la démocratie.»), en particulier les cas de jeunes filles qui ont refusé au Québec d’enlever leur voile pour des compétitions sportives, elle écrit: «Indéniablement, pour un vivre-ensemble harmonieux, certains membres de la diaspora musulmane pourraient faire preuve d’un peu de discrétion dans leur société d’accueil.» Cette concession apparemment incidente au discours de tolérance laïque ambiant en dit long sur le parti pris adopté. Or, s’il est vrai que dans cette polarisation, «la ligne visible de démarcation, ce sont les femmes, et plus précisément le corps féminin qui est, dépendamment des identités, soit à voiler, soit à révéler», un féminisme «moderne» des Québécois ne consisterait-il pas finalement à laisser aux femmes et aux jeunes filles la décision souveraine de leur attitude et de leurs comportements, seules ou en société?

Ici le voile est ramené à une «tenue vestimentaire» — ce qu’il est aussi, indéniablement, et la périphrase a peut-être le mérite de le ramener à cette banalité de la tenue de tous les jours. Mais par un même mouvement, ce caractère anodin, en suggérant l’idée de style, laisse à penser non pas seulement qu’il s’agit d’un choix, mais, d’une certaine façon, qu’il est indifférent de le porter ou non: qu’on le porte comme un accessoire («vestimentaire»); qu’on peut donc le retirer pour faire du sport, de la natation, quand il n’est pas, selon nos critères, pratique.

Or on peut supposer qu’il en va tout autrement dans la réalité vécue des femmes qui décident de porter le voile. Il s’agit d’un choix fort, qui peut témoigner de multiples souhaits, allégeances et appartenances, autant que d’une manifestation de pudeur, qui ne devrait pas être entravée par une société bien-pensante, sous peine de créer une nouvelle oppression dont ce sont justement encore les femmes qui seront les victimes. ♦

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Osire Glacier
Lachine, Pleine Lune
2018, 160 p., 21.95 $