Aller au contenu principal

Faux raccord

L’objet est original, mais peine à reproduire l’effet recherché du travail d’Amun.

Thématique·s
Beau livre

L’objet est original, mais peine à reproduire l’effet recherché du travail d’Amun.

Thématique·s

On dirait un coffret retrouvé en rêve, coloré par des phosphènes passant du bleu au violet. Énergisé par ses lignes horizontales lumineuses le parcourant, le boîtier s’ouvre aussi facilement qu’une porte au royaume de Morphée. À l’intérieur, précédés d’un colophon digne de ce nom et, qui plus est, signé par l’artiste, quelques prières enfouies, soit huit reproductions des toiles du peintre, ainsi qu’un essai en deux brochures, l’une française et l’autre anglaise, de Jonathan Demers sur le travail de Numa Amun.

Rendue possible par le Prix en art actuel, créé par le Musée national des beaux-arts du Québec, la publication accompagne l’exposition Raccord, qui a eu lieu du 20juin 2019 au 16février 2020. Vous l’aurez compris: le catalogue fascine. La présentation du contenu est inusitée et originale. On trépigne de déplier, avec précaution, chacune des affiches et de découvrir le travail du peintre, qui nous offre un corpus d’œuvres «sis aux limites de l’art optique et [de] l’image cryptée, image dans l’image, héritières d’une tradition de la gravure qui, par la hachure et la trame, fait apparaître la figuration à partir du motif». Puis, la calebasse remplie, le lecteur se réveille. Les promesses soufflées se transformeront, telle une alchimie inversée, en une boue de détails techniques dans lesquels il pataugera bientôt.

Infime

Reproduite sur du papier légèrement glacé, chaque affiche a un contenu double, car imprimée recto verso, le verso présentant un détail de l’œuvre reproduite au recto, ce qui permet à l’amateur comme au curieux de plonger davantage dans celle-ci, de s’en «approcher», car à première vue, et à une certaine distance, on peine à croire que cela a été peint par une main humaine. Les textures créées par les motifs et une palette rappelant des coloris propres à la science-fiction déroutent. On dirait des inscriptions sur la carlingue d’un vaisseau spatial, impression renforcée par les titres des peintures: Le temps que nous vivons n’est pas celui que l’on pense; Quelqu’un de très loin veut nous parler. Des trames se promènent, semblent se cacher comme un code, un «écho dans le champ du sacre», pour reprendre un autre titre du corpus. Chatoiement, luminosité étonnante pour de l’imprimé de ce calibre, silhouettes qui semblent éclairées, exhibant une peau vibrante, font prendre à cette œuvre un tour étrange et surréel qui déjoue la science de l’œil.

Je crois que ça fonctionne — du moins, on a une infime idée du travail d’Amun, qui est au demeurant un artiste très exigeant, comme nous l’explique Jonathan Demers. Il n’offre pas le commissariat de ses œuvres à n’importe qui. Je me questionne donc quant à la finalité de l’objet. Lors de l’exposition, les toiles d’Amun étaient encastrées dans le mur de la salle et suivaient une logique «narrative» propre à ce lieu, ce qui offrait au spectateur une immersion complète, étrange, «spirituo-contemplative» dans son univers. Il est clair que cet aspect manque cruellement au catalogue. Comme je l’écrivais, l’impression est certes de bonne qualité, mais la manipulation des affiches, les pliures résultant de cette manipulation, la distance pratiquement inexistante entre l’œuvre et le spectateur ne rendent pas justice à l’exigence dont se nourrit l’œuvre d’Amun. Bien sûr, le contexte n’est pas le même. S’en serait-on approché davantage avec un livre plus conventionnel, aux dimensions adéquates?

Temps vertical

Le texte de Demers présente un artiste ayant une approche monacale de la peinture, qui partage les prédispositions d’un mystique. Je ne suis pas toujours certain de suivre l’esprit primesautier de Demers, qui regorge de références et d’idées: on saute ainsi de l’atelier d’Amun — que l’essayiste n’a pu visiter — à une recette de boudin fait de sang humain, en passant par le Saint-Suaire aussi bien que par une allusion aux débuts esthétiques d’Amun, qui flirtait alors avec la pornographie. Toutes ces mentions ont évidemment pour point commun «la généalogie chrétienne de l’image». Par contre, des formules sublimes telles que «En réduisant le geste à sa pénitence, c’est la clarté photographique qui dès lors apparaît» nous font rêver d’un texte plus long, plus ample, moins précipité. La même chose pourrait être dite de la brochure, qui est plutôt chiche en ce qui concerne les dimensions des images auxquelles fait référence Demers. Ce catalogue, dans sa déconstruction, permet toutefois d’entrevoir ou de ressentir ce temps vertical dont parle l’essayiste. Raccord serait donc un livre «en un seul et même instant», bien que pour citer l’Italien Giacomo Leopardi, son «[…] effet tout entier dépend[ra] de la chambre noire plus que de l’objet réel».

Auteur·e·s
Individu
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
Numa Amun, Jonathan Demers
Québec, Musée national des beaux-arts du Québec
2019, 23 p., 49.95 $