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Faire face au vent

Sous la gouverne des amitiés féministes, cet essai souligne la présence de femmes dont l’existence est un engagement constant. Une lutte édifiante, comme l’était celle menée par les sorcières avant elles.

Essai

Sous la gouverne des amitiés féministes, cet essai souligne la présence de femmes dont l’existence est un engagement constant. Une lutte édifiante, comme l’était celle menée par les sorcières avant elles.

Dans ce collectif où les textes ont été «récoltés» plutôt que dirigés par Marie-Anne Casselot et Valérie Lefebvre-Faucher, on se fait à la fois happer et porter. D’abord par l’urgence et la gravité des questions qui y sont posées et, ensuite, par le soin et la souveraineté de chacune des voix qui proposent des moyens plutôt que des réponses, des idées au lieu des consignes.

Du côté des sorcières

«Nos critiques et nos espoirs convergent. L’écoféminisme est forcément un art de l’alliance, de l’amitié. Il ne s’agit pas de nous enfoncer les un·e·s les autres, mais de nous additionner.» Même si cette équation, elles le disent elles-mêmes, n’est pas parfaite: «En voulant parler de chez nous, nous avons fait un livre résolument nordique. Le portrait que nous donnons est bien parcellaire, alors que l’inquiétude, elle, est globale.» S’avisant du privilège de leur position, les auteures reconnaissent d’emblée «l’apport, tant théorique que bien concret, des leaders écoféministes autochtones, qui veillent depuis des générations sur un territoire sans cesse agressé.»

Elles se disent «habituées de l’échec, de l’humiliation, de la répression et du compromis douloureux». Ce qui reste pourtant d’un tel aveu est un «entêtement à renaître toujours plus nombreuses». C’est là, dans cette manière d’inclure le plus possible en ne se couvrant pas d’éloges, et de penser, d’agir et d’écrire à relais, que se signe la forte cohérence de l’ensemble. Elles parlent d’écologie politique, de philosophie, de paysannerie, d’économie, d’histoire, de sciences et d’amour comme d’autres manient la fourche, les formules mathématiques ou la poésie. Elles en appellent «aux forces démesurées de l’amour et du chaos, qui gagneront toujours sur les petits despotes» en souhaitant rompre, enfin, «avec l’attitude de performance et d’indifférence qui tire l’humanité vers la destruction».

À lire, à relire et à faire lire

«L’écoféminisme ne se décline pas au singulier, mais s’il englobe différentes branches militantes et théoriques, il a toujours comme prémisse de base qu’il existe des liens structurels entre la domination patriarcale et la dégradation des écosystèmes.» Le texte signé par Marie-Anne Casselot fournit les rudiments qui permettront aux apprenti·e·s écoféministes de plonger dans ces réflexions sans inconfort ni sentiment d’imposture. À sa suite, la mise au point très nette que fait Ellen Gabriel donne lieu à un texte qu’il faut lire, relire et faire lire:

La plupart des gens dans le monde «développé» ont du mal à comprendre les effets de la misogynie coloniale exercée contre les femmes autochtones. Il faut raconter l’histoire du début, écrit-elle. Il est temps que les femmes autochtones reprennent leurs droits et leur autorité sur les territoires et participent de manière équitable aux décisions qui concernent nos droits à l’autodétermination.

Élise Desaulniers reprend le fil rouge de la viande: le lien «entre la dominance sociale et l’idée que les animaux sont là pour être exploités». D’avis que l’ordre supposément naturel peut être démonté, elle propose, non sans ironie, que l’ère du steak et des pipes est révolue. Comment ne pas sourire (et acquiescer) quand, dans la lutte contre le patriarcat et l’hétéronormativité, elle propose plutôt de célébrer le tofu et les 69? La «gymnastique mentale» d’Anna Kruzynski interroge la possibilité de «créer un vivre-ensemble basé sur d’autres valeurs que la compétition, le chacun-pour-soi, l’avidité». Puis, sur la paysannerie et le féminisme, Catherine Beau-Ferron aborde «cette fameuse ligne entre le choisi et l’élection». Par un appel à une écoute plus sensible, elle invite à une vigilance vis-à-vis de la dévalorisation des rôles traditionnellement féminins. Dur à dire si ce texte a la solennité de la brise, ou la force des tempêtes.

Sur la route sinueuse du Plan Nord, Jacinthe Leblanc montre que «les enjeux socioenvironnementaux vus par les écoféministes sont ancrés dans la réalité […] où l’adage “penser global, agir local” prend tout son sens.» Tout en évoquant le souvenir rassurant et déstabilisant des premières lectures écoféministes, Maude Prud’homme ravive la mémoire des pionnières et des militantes actuelles. Elle mentionne le tokenisme, le mansplaining, la fatigue aussi: «On fait de la sensibilisation. Ça peut être lourd […], on est patientes.» Le point de vue de Céline Hequet, biologiste, sur la lutte contre l’invisibilité du travail des femmes agit comme une dernière brique dans l’édifice que devient, au fil des pages, Faire partie du monde. Or, c’est avec les plumes magiques de Valérie Lefebvre-Faucher et de Pattie O’Green que le collectif rejoint le terrain de la littérature. Face à un «héroïsme militant», l’amour montre les dents. On saisit enfin, par l’intelligente beauté de ces textes, comment les revendications écoféministes «incitent à ramasser ce qui tombe plutôt qu’à démolir».

Je dois à Pattie O’Green d’avoir ranimé mes désirs d’enfants perdus et de pays imaginaire. «Apprendre le langage de la lenteur et savoir improviser des rituels», écrit-elle, «rien de plus envoûtant qu’une présence invisible qui ne laisse que des indices.» Sauf peut-être celle, chorale et phosphorescente, des lucioles dont est fait le féminisme. ♦

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Collectif
Montréal, Remue-ménage
2017, 176 p., 18.95 $