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Exalter la beauté de l'ordinaire : un défi

Exalter la beauté de l'ordinaire : un défi

Dans Il fera chaud cette nuit, de Yannick Marcoux, le narrateur se tient au plus près de la réalité quotidienne pour en exposer la part de rêves, d’intensité et de déceptions.

Nouvelles

Dans Il fera chaud cette nuit, de Yannick Marcoux, le narrateur se tient au plus près de la réalité quotidienne pour en exposer la part de rêves, d’intensité et de déceptions.

Il fera chaud cette nuit porte le sous-titre Histoires de désir et d’intimité. Dans cet ouvrage, il est question de rencontres sexuelles fortuites ou inscrites dans une forme d’engagement. C’est ce qu’annonce l’auteur dans sa préface, où il nous présente son «ambition»: que son livre «contribue à lubrifier notre parole». Il veut, dit-il, libérer «un amour, un désir et une vulnérabilité qui exaltent la beauté de l’ordinaire, nous invitant à une jouissance collective».

Les lecteur·rices cibles

Voilà une aspiration difficile à satisfaire, d’autant plus que les histoires qui soutiennent cette quête ne peuvent pas toucher en même temps la sensibilité de tous·tes les lecteur·rices. Les jeunes parents, par exemple, qui ne trouvent ni le temps ni l’énergie de faire l’amour, même quand ils en ont envie, s’identifieront au couple que Marcoux met en scène dans les trois nouvelles intitulées «Snooze», qu’il a écrites au «je», et dans lesquelles on devine que l’auteur évoque son expérience de nouveau père. Le désir est là, mais soumis à la tyrannie du bébé – et quand les grands-parents gardent pour une nuit le poupon, le désir, qui pourrait triompher, est vaincu par la fatigue et sombre dans le sommeil.

D’autres types de lecteur·rices se sentiront complices du narrateur de «Le creux de vos mains», qui se laisse entraîner dans un plan à trois par de séduisant·es étranger·ères, puis de celui de «La virée», qui fait l’amour appuyé contre un arbre, sous une pluie torrentielle, avec une femme sans nom au «regard moqueur, séducteur et vif», qui l’a abordé en lui demandant: «C’tu moi ou on a déjà couché ensemble?» «Bar ouvert» s’adresse aussi aux amoureux·ses libres et relate le récit d’une aventure d’un soir entre deux gais. Ce texte correspond à ce que Marcoux apprécie de la sexualité, c’est-à-dire lorsqu’elle «s’incarne en rencontres complexes, intimes et épanouissantes».

«L’amour à l’âge de Pierre» fera peut-être le bonheur de tous·tes, car la nouvelle est plutôt attendrissante. Pierre, le personnage principal, est le grand-oncle du narrateur et le benjamin d’une famille de douze enfants. Adulé par sa mère, il se montre incapable de vivre sans elle. Ce n’est qu’après la mort de cette dernière que le protagoniste, alors âgé de soixante et onze ans, perd sa virginité et se demande, inquiet, si Dieu va lui «pardonner d’avoir accédé au Ciel avant le temps».

Des «je» et des «tu» multiples

Dans sa préface, Marcoux indique qu’il a laissé ses «expériences se raconter à travers de délurées fictions». Il ne s’agit donc pas d’autofiction, même si certains éléments peuvent être autobiographiques. Cependant, quelles que soient les parts de vérité et de fiction dans ce livre, l’identité du narrateur-personnage principal pose problème, car ce «je» apparaît sous de nombreux visages, et on n’arrive pas à saisir s’il parle au nom d’une seule personne, à différents moments de sa vie, ou de plusieurs. L’ordre de présentation des nouvelles ajoute à la confusion. Le premier «Snooze» de la série précède «Le creux de vos mains» et «La virée»; le deuxième suit «L’amour à l’âge de Pierre» sans qu’on sache pourquoi; le troisième clôture ces quatorze histoires de désir et d’intimité par la défaite du désir et de l’intimité…

L’utilisation du «tu» pour les partenaires sexuels, femmes et hommes, ne simplifie pas la lecture. On constate que certains «tu» désignent des femmes différentes: celle de «La virée», que le narrateur ne reverra plus, se distingue de celle de «Snooze», mais les autres? La protagoniste admirée sur une plage en Uruguay est-elle la même que celle dont l’orgasme est célébré, sur une route d’Espagne, par le klaxon d’un camionneur qui l’a surprise dans une position révélatrice? La question se pose, car ce «tu» généralisé a le défaut de transformer des personnages en objets sexuels qu’on ne différencie pas. Cela contredit ce qu’écrit l’auteur dans «La virée»: «On ne tombe pas amoureux des femmes parce qu’elles sont belles, on tombe amoureux des femmes qui sont quelqu’un.»

Dans l’ensemble, il manque à ce recueil un fil rouge qui lui aurait donné plus de cohésion et de profondeur. Il existait sans doute dans l’imagination et les souvenirs de l’écrivain, mais ce dernier ne l’a pas rendu visible pour ses lecteur·rices.

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Yannick Marcoux
Montréal, XYZ
2023, 128 p., 19.95 $