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Échanger les mirages

Bien que discret ces dernières années, Daniel Sernine a été – et demeure – un auteur phare du fantastique québécois. Ainsi que de la science-fiction, comme en témoigne le recueil Les échos du temps.

Littératures de l'imaginaire

Bien que discret ces dernières années, Daniel Sernine a été – et demeure – un auteur phare du fantastique québécois. Ainsi que de la science-fiction, comme en témoigne le recueil Les échos du temps.

Daniel Sernine n’a pas publié que des textes brefs: côté roman, il a signé la série remarquée La suite du temps, aux éditions Alire. C’est par ses nouvelles qu’il m’a transmis – et ce, depuis ma découverte, à l’adolescence, de ses premières œuvres – le sense of wonder, souvent inhérent à la science-fiction d’exception. L’initiative des Six Brumes de rééditer ces histoires, depuis longtemps introuvables, au sein de leur collection «Brumes de légende» ne pouvait conséquemment que me séduire. Car cet écrivain, fondateur des littératures de l’imaginaire québécoises telles que nous les connaissons, possède un sens rare du récit et de la poésie et sait nous propulser vers de lointaines novæ.

Onze fois l’émerveillement

Les onze fictions au sommaire des Échos du temps sont, pour plusieurs d’entre elles, liées par leurs thèmes, leur cadre. Certaines mettent de l’avant des voyageur·ses en exode au cœur de l’espace, en quête d’une nouvelle terre d’appartenance, celle sur laquelle elles et ils habitaient ayant été drainée de ses ressources naturelles. Les réalités virtuelles sont aussi évoquées dans quelques-unes des histoires, comme dans le somptueux texte d’ouverture, «Yadjine et la mort»: Yadjine s’y entiche de Marq, pilote émérite pour qui la course représente «une affaire privée entre [lui] et la mort». Il est en effet possible d’accompagner les conducteur·rices en direct sur le réseau, voire de mourir simultanément avec elles et eux, le choc de l’accident arrachant la vie au pilote et (par procuration) aux spectateur·rices. Les phrases de Sernine, évocatrices, précises, parfois un peu trop ornementées – l’écrivain aime les mots rares –, sont ici comme ailleurs percutantes: «l’univers s’écrase en grinçant avec vous au milieu».

Après ce départ vertigineux, l’auteur renchérit avec «Le vieil homme et l’espace», texte poignant et accompli, peut-être même davantage que le précédent, avec son ampleur et sa manière délicate, subtile, de dépeindre l’attachement d’un grand-père pour son petit-fils, victime d’une avarie dans un vaisseau en route vers des planètes inhospitalières. Cette nouvelle déploie avec maestria le suspense, ce qui n’est pas le cas de tous les récits de la seconde moitié du livre, qui m’ont moins émerveillée. Mais les quatre premières longues fictions des Échos du temps sont si fascinantes qu’elles valent à elles seules le voyage – intersidéral, comme il se doit.

Dans la mer du temps

Autre réussite, «Exode 5» narre la rencontre entre les Knassiens et les Exodéens. Ces derniers s’installent sur une planète possible à «terraformer», c’est-à-dire qu’ils souhaitent transformer l’environnement naturel du corps céleste, le rendant ainsi habitable pour l’humain. Commencent dès lors les échanges culturels et génétiques, qui auront des répercussions inattendues… et effroyables. En effet, «les châtiments viendront du ciel». «Exode 4» est pour sa part une œuvre surprenante, l’action se déroulant sur un vaisseau de voyageur·ses en quête d’un nouvel espace à peupler. Cependant, Maude préfère sauvegarder un corps céleste édénique – parfait pour accueillir des humains – et le préserver de tout changement. Elle agit ainsi «par compassion pour les planètes». Il ne lui sera pas aisé de rallier l’équipage à sa cause, contraire à la mission du vaisseau. À l’instar du «Vieil homme et l’espace», «Exode 4» explore les nuances de la psychologie humaine, avec les incontestables moyens stylistiques et narratifs
de Sernine.

Comme je l’ai mentionné, les fictions suivantes m’ont moins émerveillée, bien qu’elles soient d’une grande qualité. L’alternance, dans la majorité des nouvelles, de longs passages en italique avec des paragraphes en caractères romains m’a semblé trop systématique. Idem pour la numérotation de toutes les sections de l’ensemble des histoires, à la manière des chapitres d’un roman. J’aurais souhaité plus de variété, voire d’éclatement dans la présentation, qui aurait pu être davantage en phase avec les missions stellaires des Exodéens. Le récit jeunesse «Les voyages imaginaires», dans lequel nous suivons Claude, qui se balade sur la ligne mauve du métro avec son «bracelet-signal» (car il faut que sa mère «sache à toute heure où [il] es[t]»), m’a aussi paru détonner.

Cela dit, je suis avant tout (et fondamentalement) ravie de la réédition de ce livre essentiel. Le recueil Les échos du temps est une vibrante célébration qui invite à échanger les mirages – tels autant de rêves d’exodes flamboyants.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Daniel Sernine
Sherbrooke, Les Six Brumes
Brumes
2022, 328 p., 30.00 $