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D’un charme suranné

Bien qu’elles présentent des qualités indéniables, les cinq longues nouvelles du recueil Présents composés sont tout au plus plaisantes et frôlent parfois l’insignifiance.

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Bien qu’elles présentent des qualités indéniables, les cinq longues nouvelles du recueil Présents composés sont tout au plus plaisantes et frôlent parfois l’insignifiance.

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On ne parle pas assez d’Annika Parance éditeur, fondé en 2012, qui accorde une tribune à de nouvelles voix littéraires: Maud Chayer, Chantal Garand, Stéphane Lefebvre, Mattia Scarpulla, entre autres. Au fil des ans, la maison s’est peu à peu fait connaître grâce à sa collection «Sauvage», qui se distingue par sa magnifique ligne graphique épurée et par la brièveté des œuvres publiées. J’avais été particulièrement séduit par la prose lapidaire de Planètes (2018), écrit par Mario Cyr. Mes attentes étaient donc élevées pour Présents composés, de Juan Joseph Ollu, paru à la même enseigne. Ce dernier opus de l’écrivain et traducteur d’origine montréalaise, après Un balcon à Cannes et Dolce vita (2012 et 2016, Annika Parance), m’a cependant amèrement déçu.

Un parfum de classicisme

Le recueil s’ouvre sur «Une fenêtre ouverte», une nouvelle médiocre mettant en scène un écrivain indolent qui en vient – par désœuvrement, puis par curiosité – à espionner ses voisins d’en face. Ces derniers sont un jour retrouvés assassinés. Or, le texte se termine par la phrase «Il s’éveilla». On comprend alors que tout ce qui précède n’était que le fruit d’un rêve. J’estime qu’Ollu, qui n’en est pourtant pas à ses premières armes littéraires, aurait dû éviter un tel cliché grotesque. Il est navrant que l’écrivain ait complètement gâché «Une fenêtre ouverte» en voulant trop respecter les codes de la nouvelle – codes qui (dois-je le souligner?) ont évolué depuis le tournant des XIXe et XXe siècles.

En fait, ce texte inaugural est représentatif de l’ensemble, nettement trop convenu. L’écriture lisse, pour ne pas dire léchée, de Présents composés est passablement maîtrisée, mais elle manque cruellement de naturel et elle est datée. En témoignent les nombreuses références plus ou moins plaquées à James Baldwin, François Mauriac et Françoise Sagan. Qu’on ne se méprenne pas sur mes propos! Je n’ai rien contre les œuvres de ces auteur·rices ni contre les classiques de la littérature en général, auxquels il est toujours bon de retourner. Mais le livre d’Ollu est si classicisant, si prévisible (tant dans la forme que dans le fond) qu’il semble appartenir à une époque révolue. On lit ce recueil comme s’il s’agissait d’un artefact. Ou d’un énième roman de Mauriac.

Finesse?

Plus abouties sont les fictions centrées sur le motif de l’infidélité. «Bad boy», véritable critique de la quête de plaisirs hédonistes dans le monde nocturne gai, raconte comment le protagoniste, au cours d’une soirée bien arrosée dans une boîte de nuit, trompe son copain Manu avec Mathieu, l’un des serveurs.

La nouvelle qui donne son titre au recueil se présente sous la forme d’une adresse du narrateur à celui qui partage sa vie. Il revient sur sa première rencontre avec Alexandre, son amant:

Ce fut viscéral, avec images et sons tangibles à l’appui. Le vent chargé d’eau fouettant les vitres, la chaussée brillante comme du vinyle. Les cahots, la proximité impersonnelle, les gestes indifférents, et soudain, son visage qui se tourne vers moi, le claquement des portes, son regard qui semble vouloir me transpercer, les battements de mon cœur, sa bouche esquissant ce certain sourire si particulier, hésitant et charmeur.

L’analyse psychologique assez fine de la passion amoureuse et de ses différents stades – de l’idylle à la rupture – est au cœur de cette fiction aux envolées lyriques. J’aurais aimé que l’ouvrage contienne plus de textes comme celui-ci.

Malheureusement, Juan Joseph Ollu pèche trop souvent par excès. En effet, il multiplie les phrases interrogatives, soulève des hypothèses saugrenues et évoque des scénarios inutiles qui n’ajoutent rien au récit. Surtout, il a la fâcheuse tendance à dire les choses plutôt qu’à les montrer, ce qui l’amène à commettre des maladresses plus ou moins pardonnables, comme dévoiler des éléments importants de l’intrigue qu’on devrait découvrir seulement à la toute fin du texte («j’aurais dû être plus attentif, mais les conséquences à payer allaient se faire sentir plus tard»). Ou encore enchaîner des lapalissades: «Pourtant, je sais que si c’était à refaire, je ne changerais rien à ce qui a été. À quoi cela servirait-il puisque je suis comme je suis? On ne change pas.» On croirait lire les paroles d’une mauvaise chanson de Céline Dion…

Dans «L’indécis», le narrateur résume en ces termes sa relation avec Laurence, une femme brillante dont il se lasse rapidement: «[L]a plupart du temps, c’était forcé.» Ces mots pourraient très bien s’appliquer aux nouvelles de Présents composés, qui me sont apparues forcées, contraintes dans leur écriture. Et prisonnières de carcans formels et esthétiques.

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Juan Joseph Ollu
Montréal, Annika Parance éditeur
coll. « Sauvage »
2020, 138 p., 15.00 $