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Du rififi dans la fachosphère

Du rififi dans la fachosphère

La massothérapeute amatrice de mystères Josette Marchand est de retour. Cette nouvelle enquête la mènera, elle et ses proches, dans le monde haineux de l’extrême droite et du dark web.

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Polar

La massothérapeute amatrice de mystères Josette Marchand est de retour. Cette nouvelle enquête la mènera, elle et ses proches, dans le monde haineux de l’extrême droite et du dark web.

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Aux petites heures d’un matin d’été, une jeune femme est découverte égorgée au parc Baldwin. Sur son corps, des morceaux de peau ont été prélevés. Sa robe et une sandale forment un tas à côté d’elle. Ni sac ni téléphone pour indiquer qui elle était et, comme la police ne tardera pas à le découvrir, aucune hésitation dans les incisions, aucune empreinte, aucune trace d’adn, rien pour aider à démasquer le coupable, si ce n’est qu’il est un vrai professionnel, un boucher méticuleux.

Une bonne enquête, ça se partage

C’est Josette qui raconte l’histoire. De par son métier, elle en connaît un rayon sur l’être humain, mais pas autant – pour le côté obscur – que son conjoint Vincent Bastianello, inspecteur de police. Autour d’eux, il y a Chana, d’origine thaïlandaise, fille adoptive de cœur mariée à Kevin, activiste environnementaliste et gauchiste. L’affaire Baldwin, ce sera leur affaire à tous·tes. Se joindront à l’équipe la meilleure amie de la personne assassinée et, plus discrètement, son père, mais n’allons pas trop vite.

La victime est identifiée. Sara Landrieau était une violoniste française, membre d’un groupe de musique klezmer. Elle se trouvait à Montréal à l’occasion d’une tournée. Les morceaux de peau prélevés correspondent aux endroits sur son corps où elle arborait de jolis tatouages. Pas de quoi cependant émouvoir les collectionneurs pervers, et encore moins commettre un meurtre. Quant à ce qu’on a découpé sur son avant-bras, par contre, amie et amants avouent leur ignorance. Cette marque sur l’avant-bras est sûrement ce qui a attiré la convoitise du tueur, et c’est le premier mystère que Vincent et la narratrice démêlent lors d’un séjour à Chambéry, en Savoie, d’où venait la violoniste. Et si son attachement à la musique juive n’était pas que purement mélomane?

Les voix de l’extrême droite

Quelques tartiflettes et un mystère éclairci plus tard, notre duo d’enquêteur·rices est de retour avec la certitude que c’est à Montréal que doivent se poursuivre les recherches, en partie chez un tatoueur véreux d’Hochelaga. C’est aussi du Québec que proviennent, depuis le début du roman, insérées entre chaque chapitre, les voix du tueur – un maniaque de type néonazi – et de ses semblables: un animateur radio populiste («— Pas un meurtre chez les Plateautiens! Hey, les smattes! Ça vous fait quoi de savoir que ça s’est produit à côté de chez vous, dans votre beau quartier de surdoués?») et les organisateurs de ces fameux Jeux d’été sur le dark web, à savoir un concours de virilité et de maintien dans la meute, comme en feraient des idiots de quatorze ans, mais en plus nuisible. C’est pour en mettre plein la vue pendant cette compétition et pour prendre la haute main sur l’instauration de l’ordre suprémaciste que «Baldwin» a tué.

S’attaquer à la nébuleuse d’extrême droite n’est pas simple, ni pour des enquêteur·rices ni pour une romancière, mais j’y ai cru. On voit les bandes rivales se jauger, on découvre la discipline dans les rangs, les hiérarchies, le culte du secret mêlé d’une sorte de fascination pour la publicité. On lit des discussions entre les meneurs d’un groupe, les messages d’encouragement de l’organisateur des jeux, les élucubrations politiques du tueur; toute une «macédoine idéologique» se révèle, d’autant plus que ces passages témoignent d’une vision des relations humaines et de la langue adroitement reproduite (mais pourquoi l’autrice s’excuse-t-elle presque, en préambule, que la transcription de ces discours emprunte «des traits hors normes»?). Bien vu aussi d’avoir relié ceux qu’on qualifierait un peu vite de tarés asociaux au versant public de leur discours, les bien nommées radios-poubelles, qui, elles, ne se cachent pas et sont même très écoutées.

Ici arrive la limite du roman, à mon avis: celle d’une parfaite étanchéité entre le discours haineux et le reste du monde, représenté par les personnages en scène. La distinction est toujours claire entre les bons et les méchants, alors que c’est justement par l’ambiguïté que se crée une zone grise capable de faire passer ces discours. Kevin le gauchiste aurait également pu signaler à Vincent la tolérance policière vis-à-vis des groupes d’extrême droite, sans parler de la sympathie de certains flics pour l’amour de l’ordre et de la force qu’ils professent.

J’ai l’air de bouder mon plaisir, mais je ne devrais pas. Jeux d’été est un bon polar dont on tourne les pages en voulant connaître la suite, car c’est une traque, avec juste ce qu’il faut de mal et de peinture sociale, mais aussi d’amitié et de solidarité; une enquête lestée du poids du pire crime du XXe siècle.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Diane Vincent
Montréal, Triptyque
Policier
2021, 288 p., 27.95 $