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Des dick pics en sépia

Des dick pics en sépia

Le premier roman d’un talentueux auteur gai acadien ne nous apprend rien d’intéressant sur l’Acadie ou la culture queer.

Thématique·s
Roman

Le premier roman d’un talentueux auteur gai acadien ne nous apprend rien d’intéressant sur l’Acadie ou la culture queer.

Thématique·s

Quand un roman paraît en Acadie, c’est un big deal. Même si on y compte de nombreux·ses poètes, très peu de nos écrivain·es osent l’aventure romanesque. Et lorsqu’on parle de la nouvelle génération d’auteur·rices, celle des milléniaux, on recense moins d’une dizaine de titres dans ce genre.

Huit ans ont passé depuis que Pierre-André Doucet s’est fait remarquer avec son recueil de «récits et d’errancestienne entièrement ses promesses.1», Sorta comme si on était déjà là (Prise de parole, 2012). À l’époque, on complimentait son écriture distinguée et sa musicalité envoûtante, des qualités qu’on retrouve dans Des dick pics sous les étoiles, un roman qui, malgré ses nombreux défauts, a été pour moi un plaisir à lire et à débattre.

Sensationnalisme et musicalité

Le livre évoque un curieux mélange de cru et de rêverie, un flash qui semble bien plaire, puisque le premier tirage était épuisé à peine deux mois après sa sortie. Dès le titre, on comprend que Doucet cherche à choquer, ce qui l’amène malheureusement à tomber dans le piège des clichés. Par exemple, l’un des personnages mentionne la «sagouine porn», qui consiste en «deux grannies» lubrifiées avec du fricot. Voilà une forme de name-dropping provocatrice qui n’apporte rien à l’ouvrage, même pas un clin d’œil à la réalité ou à la culture acadienne contemporaine.

Même si le contraste entre le français standard de la narration et le slang bien gras et persistant des dialogues est sûrement intentionnel, la présence excessive du chiac alourdit le style et risque de perdre les lecteur·rices hors Acadie. Le dialecte devient un handicap, sans compter qu’il nuit à la crédibilité. Au lieu de mettre de l’avant une saveur particulière de l’Acadie, il ridiculise. La prémisse du narrateur instruit qui a résidé ailleurs dans la francophonie rend le niveau de langue peu probable, puisque ces facteurs ont plutôt tendance à adoucir le chiac chez les locuteur·rices. Je trouve donc difficilement justifiable que Marc, le protagoniste du roman, s’exprime si lourdement, sinon pour plaire à l’auteur et aux lecteur·rices amateur·rices d’exotisme linguistique.

Une vie sans couleur

On annonce en quatrième de couverture un protagoniste qui «cumule [les] diplômes», mais les lecteur·rices devront bien chercher pour trouver les traces d’un personnage aussi savant digne de ce nom – personnage que je n’ai reconnu ni dans sa langue ni dans ses idées, et encore moins dans ses passions, ses motivations et ses ambitions. En fait, on ne sait pas en quoi Marc a bien pu étudier: cette information n’est mentionnée nulle part dans le livre. Plus je progressais dans ma lecture, plus j’avais de la difficulté à aimer ce Marc complètement amorphe qui se laisse porter par tout ce que la vie lui offre de plus facile. L’errance, en tant que telle, n’est pas forcément un défaut. C’est même une thématique très commune chez nous: on peut penser à Gérald Leblanc et à son Moncton Mantra (Perce-neige, 1997), qui relate des vagabondages riches en conversations, en étincelles et en nuances et met en relation la petite ville de Moncton avec le cosmopolitisme de New York et de Montréal. À côté du texte de Leblanc, celui de Doucet est bien de son temps: au lieu de parler avec des gens, Marc navigue infiniment sur les sites de rencontres, ce qui, en soi, est une activité beaucoup moins palpitante.

Si l’univers intérieur de l’antihéros semble complètement dépourvu de couleurs, celui de son voisin Frédéric, en revanche, en déborde. C’est un peu la touche salvatrice de l’œuvre. Elle fait lever l’intérêt et nous permet d’espérer que l’existence complètement morose de Marc pourra changer de cap. Mais le personnage se laisse entraîner sans jamais vraiment s’investir, pas plus dans ses relations que dans sa vie en général. Tout semble rester dans le domaine du superficiel. Finalement, même l’histoire d’amour du début se différencie difficilement des autres rencontres éphémères.

J’aimerais bien dire que la plume de Doucet est sublime, car elle est souvent bien jolie, mais ma lecture a été criblée d’agacements parfois pardonnables; parfois moins. Va pour le chiac excessif et les figures de style quelque peu maladroites. Mais quand on additionne les clichés, l’absence de nuances ainsi que le sensationnalisme, ça finit par user. Je suis également restée avec la frustration qu’aucune des thématiques frôlées dans cette fiction n’ait été explorée.

En somme, le potentiel semble bien présent dans Des dick pics sous les étoiles, mais il manque malheureusement trop de maturité et de profondeur à ce premier roman pour qu’il tienne entièrement ses promesses.

  • 1. NDLR: voir la critique dans LQ, no152, hiver 2013.
Auteur·e·s
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Article au format PDF
Pierre-André Doucet
Sudbury, Prise de parole
2020, 375 p., 26.95 $