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Déposer ses valises

Mirion Malle passe de l’ombre à la lumière dans cette deuxième bande dessinée de fiction tout en couleurs et pleine de douceur, où réconciliation et nouveaux départs sont au cœur de la joie retrouvée.

Bande dessinée

Mirion Malle passe de l’ombre à la lumière dans cette deuxième bande dessinée de fiction tout en couleurs et pleine de douceur, où réconciliation et nouveaux départs sont au cœur de la joie retrouvée.

L’autrice Mirion Malle nous avait séduit·es avec sa première bande dessinée fictionnelle, C’est comme ça que je disparais (Pow Pow, 2020). Elle abordait avec beaucoup d’empathie les problèmes liés à la dépression et les traumas du passé. Dans Adieu triste amour, elle continue de creuser le sujet en reprenant les thématiques qui lui sont chères: la solitude, la réconciliation, la sororité.

Quitter la peur

Cléo, jeune autrice de bandes dessinées, aime un homme toxique. À la suite de certaines révélations graves, cette Française installée à Montréal monte dans un bus et pose ses valises en Gaspésie. Elle y rencontre une communauté de femmes bienveillantes où seul le doux, un leitmotiv réconfortant qui sonne à nos oreilles, a sa place.

Ce livre s’ouvre sur une introduction hors du temps qui nous promet une histoire pleine de douceur et de bonnes nouvelles. L’autrice nous tend la main et nous entraîne dans un univers aux couleurs délavées qui, au fil de la lecture, se gorgent de lumière et dévoilent, à la fin de l’ouvrage, un lever de soleil éclatant. Cléo abandonne la peur, elle est à l’aurore de sa vie, et un champ infini de possibles s’offre à elle. On retrouve dans le dessin cette naïveté enfantine des corps aux proportions non respectées: grosses mains, pantalons larges et chaussures carrées, la signature graphique
de Malle.

«Il me semble que je n’ai plus peur… Il me semble que je suis heureuse.» Ce clin d’œil au film d’Agnès Varda, Cléo de 5 à 7 (1962), qu’on lit en exergue du livre, est un hommage que Malle rend à cette grande cinéaste, mais aussi au cinéma français. L’artiste emploie des cases entières pour croquer un détail, une main, une bouche, qui apportent une sensibilité cinématographique à son dessin, créant ainsi une ambiance nouvelle vague version 2022. Elle use également de dialogues très rohmériens par leur simplicité et leur inconsistance au premier abord. Ils mettent en relief le quotidien étouffant de la protagoniste.

Masculinité toxique et boys clubs

Fidèle à son engagement féministe, Malle met le doigt sur les problèmes de sexisme dans les écoles d’art et dénonce les pratiques des boys clubs qui sévissent dans ces institutions. À travers l’histoire de Farah, on prend conscience de l’impact psychologique désastreux que cela entraîne, mais aussi des retombées sur la vie professionnelle du personnage. Elle est mise sur la touche et n’obtiendra jamais son diplôme d’art, car la peur et le manque total de soutien de la direction la poussent à quitter son école.

Malle pose la question: doit-on vraiment accepter que tous les hommes aient été des creeps à un moment donné de leur existence? La réponse reste ouverte, mais au bout du compte, comme l’exprime l’une des amies de Cléo, la femme est toujours perdante lorsqu’une relation prend fin. Dévalorisation du travail, précarité financière et isolement sont les conséquences d’actions engendrées par des hommes qui ont le culot de se montrer en victimes, ou qui n’hésitent pas à affirmer être dans leur bon droit. L’autrice joue avec les expressions d’un visage pendant, d’un corps mou pour illustrer le soi-disant repentir du copain de Cléo. Le dessin tourne en dérision ce personnage pour qui nous n’avons aucune compassion.

Sororité gaspésienne

Cléo s’est posée quelque part, au bord de la mer, loin de la ville, loin du bruit, et elle peut enfin se reconstruire. Comme Malle nous l’a déjà démontré dans son œuvre précédente et dans son travail pédagogique, elle met un point d’honneur à présenter une diversité de personnages tout en jouant avec certains clichés qui pourraient nous irriter, tels que le «classique rêve de lesbiennes» de «vivre en communauté dans les bois avec un petit potager, des animaux, des arbres partout…».

Les femmes dépeintes dans cette bande dessinée se sont choisies: elles ont mis de côté la culpabilité que l’on attribue depuis la naissance au sexe féminin en se faisant la promesse de ne plus se laisser envahir par le doute. L’autrice apporte une touche de fraîcheur en s’inspirant de la ligne graphique des mangas pour accentuer l’enthousiasme ou la gêne de ses protagonistes féminins: de grands yeux pétillants, des bouches d’un seul trait, des éclats lumineux; autant de marqueurs de la culture populaire que chérit Malle.

Ce livre de sororité crie: «On te croit!» Les hommes sont des adjuvants qui, somme toute, ne sont pas vraiment nécessaires à l’épanouissement des femmes. Au contraire, ils sont plutôt perçus comme des boulets qu’elles traînent malgré elles.

Mirion Malle brise les chaînes et met en sourdine le poids du patriarcat.

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Mirion Malle
Montréal, Pow Pow
2022, 212 p., 34.95 $