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Dans la lumière du romantisme

Dans la lumière du romantisme

Le jeune Keats, figure emblématique de la poésie anglaise, avait tout pour plaire à Claude Beausoleil, lui qui a eu l’audace d’écrire un jour: «Nous reviendrons comme des Nelligan.»

Poésie

Le jeune Keats, figure emblématique de la poésie anglaise, avait tout pour plaire à Claude Beausoleil, lui qui a eu l’audace d’écrire un jour: «Nous reviendrons comme des Nelligan.»

Hier après-midi, debout sur la galerie comme sur le pont d’un bateau, j’ai un instant regardé la mer et le très vaste horizon devant moi, comme je le fais chaque jour puisque chaque jour est différent, nouveau, étonnant de grandeur. Tout le paysage aquatique était nimbé de bleu pâle et poudré d’or tendre. À ma droite, un soleil bas, à peine masqué par les feuilles d’un grand bouleau retombant au bord de la petite falaise, baignait l’espace d’une lumière moins éclatante qu’en juillet. Je me suis dit que Keats aurait adoré ce tableau, qui me rappelle parfois les célèbres marines anglaises du XIXe siècle.

Puis j’ai ouvert le livre que Claude Beausoleil a consacré au poète contemporain des Shelly (Percy et Mary), admirateur de Shakespeare et mort à vingt-cinq ans, en 1821. J’ai pensé encore une fois qu’adolescence et poésie sont intimement liées, que les jeunes auteurs de toutes les époques trouvent dans ce genre de quoi exprimer aussi bien leur enthousiasme face à la vie que leur mélancolie profonde. Trois petits vers en exergue du livre appuient cela, ils parlent de «ce siècle adolescent/perturbé désemparé». On s’étonnera peut-être que je pense également à Victor-Lévy Beaulieu, si éloigné de Beausoleil, mais entretenant lui aussi ses passions et creusant ses obsessions littéraires jusqu’à en faire de gros livres (Melville, Joyce, Twain,etc.).

Ces écrits sur Keats accompagnent le poète québécois depuis 2009. Dans la note finale de son livre, il explique:

Dans ce tumulte insensé de l’actualité, la poésie est une réserve de rêve nécessaire, salutaire. […] Attentive aux sons et à la tendresse, c’est cette musique généreuse, mélancolique et énergique qui m’a séduit dans la poésie de Keats. […] Et quand Keats parle du vivant, je l’écoute.

Plus difficiles d’accès qu’on ne l’aurait cru, car la ponctuation en est absente et les inversions syntaxiques y sont nombreuses, les poèmes de Beausoleil coulent dans l’urgence de mettre les mots sur la page avant que le néant ne les avale. L’esprit du poète vole et butine d’une idée à l’autre. On est loin du bijou rare et précieux, longuement mûri et maintes fois recommencé, ou de la sacro-sainte perfection littéraire. Les poèmes semblent à peine effleurer la page, l’écrivain court après les phrases comme s’il volait, comme s’il voulait marquer le monde de sa présence ou scander la vie d’un pied léger, toujours en mouvement. Cela est très évident dans la deuxième partie, constituée d’un long poème où les vers ne sont faits bien souvent que d’un ou deux mots. Le lecteur doit revenir parfois sur le texte, à la recherche de sa propre musique.

L’éternel paysage

La mélancolie anglaise baigne l’ensemble, mais aussi la nature, si chère à Keats est partout présente. «Cette musique déploie/ce que le paysage fonde», nous dira Beausoleil dès les premières pages. Rattachée à cette passion des lieux, la musique de Keats laisse entendre «un chant criblé d’espoir». Si certaines pages m’ont rappelé le caractère bucolique du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, d’autres apparaissent comme l’espace d’un vœu et d’une attente, d’une anxiété transformée en beauté.

Ses mots sous la pluie londonienne
dans un parc au-delà du chagrin
naissent d’une hantise dévorante

La proximité du paysage sied à toutes les époques, il faut croire, et le livre en évoque le bruissement touffu, tout comme celui de l’amour de la vie. Il est dédié à la sensation, à l’émotion surgie au contact des êtres et des choses.

Je n’ai pas lu tous les livres de Claude Beausoleil, tant s’en faut; mais je ne crois pas que celui-là soit son meilleur. Il a cependant le grand mérite de s’ouvrir avec un élan remarquable sur l’univers de Keats, de suivre sa vie de la naissance à la fulgurance poétique, au voyage en Italie où la tuberculose aura le dernier mot. Surtout, il plonge dans le mouvement et l’émotion du poète anglais avec une rare générosité et nous fait voir combien Keats, tout comme Beausoleil lui-même, a célébré le fait d’être au monde. Et l’on reste ému devant cette volonté, cette exigence, ce besoin viscéral et cette pulsion qui animent les deux hommes. ♦

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Claude Beausoleil
Trois-Rivières, Écrits des Forges
2017, 37 p., 15.00 $