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Coureuse de dunes

D’abord annoncé pour avril, Mirage est finalement paru à temps pour les canicules estivales. L’ouvrage sied bien aux températures élevées, avec ses oasis arides et son futur ravagé par le réchauffement climatique.

Littératures de l'imaginaire

D’abord annoncé pour avril, Mirage est finalement paru à temps pour les canicules estivales. L’ouvrage sied bien aux températures élevées, avec ses oasis arides et son futur ravagé par le réchauffement climatique.

Josée Lepire nous emporte à plusieurs siècles d’ici, au sein d’une Amérique du Nord redessinée. Les Prairies canadiennes sont devenues un désert hostile, et les habitants des oasis survivent en autarcie depuis presque un demi-millénaire. Des messagers, dont Phan, l’héroïne du livre, orbitent autour des quatre points d’eau. Les résidents ignorent tout de l’extérieur, qui ne les intéresse guère. Leurs ancêtres ont toujours privilégié l’indépendance et l’autonomie. Cet isolement volontaire dans les dunes beiges et ocre est toutefois rompu par le bris des pompes qui alimentent les communautés en eau.

Afin de sauver les siens, Phan décide d’aller quérir de l’aide par-delà le désert. Un groupe, que la messagère dirige, quitte alors les oasis. Le premier tiers de l’œuvre prend les allures d’un roman d’aventures particulièrement fascinant: nous découvrons pluie, orages et végétation luxuriante en compagnie des Oasiens. L’amorce évoque la trilogie des plus réussies Le sable et l’acier (Alire, 1997-1998), de Francine Pelletier, sans oublier Dune (1965), de Frank Herbert. Les premières rencontres des protagonistes avec les puissances environnantes sont aussi passionnantes. Lepire nous présente – carte à l’appui – une Amérique du Nord futuriste qui inclut la Fédération des lacs (plus ou moins l’Ontario et les États au sud du Canada), la Grande Californie (la côte ouest du continent), les Maritimes indépendantes (le sud du Québec et les provinces atlantiques), la New New England (la côte est des États-Unis) ainsi que le Nénévut, tout au Nord. J’ai été ravie par la richesse de l’arrière-monde de Mirage ainsi que par le soin déployé dans l’écriture et les descriptions. Ces qualités persistent dans la totalité de l’ouvrage, bien que je doive admettre que mon intérêt s’est émoussé à mi-parcours, tandis qu’on parlemente. Et parlemente.

Gestes de tempêtes

À ce point de l’intrigue, Phan cherche à déterminer avec quelle puissance voisine les Oasiens pourraient nouer l’alliance la plus éthique et bénéfique afin de réparer leurs pompes défectueuses. Même si ces réflexions sont pertinentes, elles s’avèrent (trop) longues et relèguent le suspense au second plan. Phan devient plus passive, «ballottée comme un grain de sable dans la tempête, dépourvue de la moindre prise sur sa propre vie». L’héroïne combative de la première moitié de Mirage me manquait…

C’est sans compter le nombre de protagonistes, si abondant que l’autrice ou l’éditeur a jugé nécessaire d’insérer une table des personnages en annexe. Il aurait été judicieux de les développer plus avant et de présenter leur intériorité. Par exemple, Phan est solidement ancrée dans le présent, mais qui était-elle au cours des seize ans qu’elle a passés à parcourir les dunes? A-t-elle eu des relations amoureuses? Vécu des deuils? Des joies indélébiles? Qui étaient les membres de sa famille? Phan a certes des amis (et l’amitié est correctement dépeinte dans le roman); néanmoins, une sorte de pudeur affective plane sur la trame narrative de Mirage. L’amour est presque absent de l’intrigue. Est-ce vraisemblable pour une œuvre de quelque six cents pages contenant une pléthore de protagonistes? Un nombre plus élevé de relations humaines et interpersonnelles aurait été souhaitable. Dans la seconde portion de l’ouvrage, plus statique, le passage au mode «parlementaire» fait d’autant plus ressortir les lacunes inhérentes à la construction des personnages.

Mirage compense toutefois ces imperfections par la justesse et la joliesse de l’écriture ainsi que par la richesse de l’univers mis en place. Lepire a eu le bon goût d’élaborer un langage gestuel (utile pour échanger des informations cruciales pendant les tempêtes dans le désert) et de parsemer l’histoire d’expressions typiques des oasis, comme «la matinée s’écoula comme les grains d’un sablier». L’autrice propose d’ailleurs une réflexion intelligente sur le langage et la communication. Elle aborde également le thème de la différence, ce qui, dans les meilleurs moments du livre, m’a rappelé l’éblouissante écrivaine française Sylvie Lainé.

Les mirages du ciel

Que dire de l’ambition d’un premier roman de presque six cents pages? Je n’ai pas été surprise d’apprendre dans les remerciements que l’autrice a travaillé pendant quinze ans à Mirage, un livre dont je retiens plus les réussites que les aspects à parfaire. S’inscrivant dans le sillage de Francine Pelletier, Lepire est un talent montant en science-fiction québécoise. Il n’est pas étonnant qu’elle ait remporté deux fois le prestigieux prix Solaris de la nouvelle. Je suis convaincue que son prochain opus cristallisera les qualités littéraires déjà perceptibles ici. À l’abri d’une dune, parmi «le spectre des nuances des ocres», il suffit de patienter, au gré de l’écoulement des grains du sablier.

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Article au format PDF
Josée Lepire
Lévis, alire
2020, 561 p., 27.95 $