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Corps vivaces

Jean-Paul Daoust se passe de présentation. La réédition du recueil Les garçons magiques, à La Grenouillère, montre pourquoi: son art garde sa vitalité trente-six ans plus tard.

Poésie

Jean-Paul Daoust se passe de présentation. La réédition du recueil Les garçons magiques, à La Grenouillère, montre pourquoi: son art garde sa vitalité trente-six ans plus tard.

Publié à l’origine en 1986 chez VLB éditeur, ce livre m’a donné l’impression d’avoir été écrit l’année dernière. J’y ai trouvé un Jean-Paul Daoust entier, vrai, d’une seule pièce dans son écriture. J’ai retrouvé son souffle, à la croisée du dandysme, de l’ode et de l’américanité, celui que j’ai tant apprécié dans L’Amérique (XYZ, 1993) ou 111, Wooster Street (VLB éditeur, 1996; réédité chez Poètes de brousse en 2013). J’ai retrouvé aussi son thème de prédilection, le désir: son feu qui le consume (comme il nous consume tous·tes); la volonté humaine, trop humaine de préserver la beauté des moments de douceur dans la douleur d’aimer, lors des lendemains de solitude. On lit Daoust pour se sentir transporté·es, submergé·es, chaviré·es; on le lit, on l’écoute pour se sentir un peu plus vivant·es.

Les anges aux lunettes de soleil

Dans Les garçons magiques, on suit le poète «d’une aventure à l’autre», dans ses rituels de séduction et d’amour, à travers ses périodes de tristesse. Les premiers textes du recueil donnent à lire ses tentatives de fixer la faim de l’autre; l’extase dans laquelle le plongent la contemplation de ses amants, le contact avec leur peau; la fièvre qui s’empare de lui lorsqu’il les aperçoit dans la foule, sur la piste de danse, ou bien près de lui, dans son lit. Sa prose syncopée et haletante dit le ravissement du désir que lui inspirent ces «anges», à qui sont adressés les poèmes:

Tes lèvres. Quand elles laissent des diamants sur mes doigts. Nus. Timides. Mais. Puisqu’on écrit un texte. D’amour. Qu’on invente notre histoire. Que les autres liront. Avec envie. Je veux être en première position de ton hit-parade. Que j’enregistre. Je veux être le critique de ta vie. Qui s’est jetée férocement. Sur la mienne. Oui oui je sais. Comme un fauve.

Dans sa préface, Gérald Gaudet voit dans l’accumulation des métaphores («une métaphore en appelle une autre») une manière de traduire le rapprochement des peaux, des corps; une façon de mettre en mots «une intensité dans l’élan qui aurait du mal à aller au bout de lui-même».

Junkie de l’amour

Mais cet excès initial, assez caractéristique de la poétique daoustienne, se tarit à mesure qu’on avance dans le livre. Les poèmes s’amenuisent, deviennent squelettiques. C’est que l’amour est une drogue, comme me le rappelle Tristan et Iseut chaque fois que je l’enseigne. À l’euphorie succède le manque. «Ces désirs, pourtant, ne vont pas sans danger», souligne d’ailleurs Alexandre Rainville dans la postface. L’étiquette de «récits», accolée à l’édition originale, prend ici tout son sens: l’amour, c’est compliqué. Et l’écriture mime la vie dans la variété de ses formes: récits et poèmes d’un amant à l’autre, d’un extrême à l’autre.

Très snow white je sniffe
Ma solitude
Mes yeux ôtent leurs talons hauts
Le bal est fini
Mes cils tombent
Leur crinoline noire
Silencieuse
Sur le plancher
D’une chambre à coucher
Vide

Le torrent

Ce qui m’étonne toujours chez Daoust, c’est à quel point son œuvre est supérieure à la somme de ses parties: un vers, un extrait ne rendent pas justice à l’ensemble. On est loin des «poètes-orfèvres» qui travaillent au scalpel tel mot, telle image, et dont les textes sont comme des prières qui chatoient dans le silence. Au contraire, la parole semble couler de source. L’écriture de l’auteur des Cendres bleues (Écrits des Forges, 1990) puise sans gêne dans l’imaginaire du poète maudit. Le caractère suranné qui s’en dégage, aux accents baudelairiens, alimente une posture camp qui en efface le kitsch. Au lieu d’être agacé, j’ai été touché:

Tous les mal-aimés qui ont sombré parce qu’ils ont écouté les sirènes tapageuses. Mais ces eaux appartenaient aux requins. J’inspecte une dernière fois la fenêtre. Et si son visage y fleurissait pour m’éblouir. Comme l’extase sur nos corps. Mais ce n’était qu’un début. Mais j’aurai vu la beauté dorée de tes yeux. Tes lèvres copier le Sphynx. Avant de m’enfoncer dans un désert sans fond.

Ainsi, les formules plus faciles se fondent dans l’urgence de dire: l’énergie, la passion, la douleur, la vie elle-même, quoi, prime tout. Jean-Paul Daoust le relève à la toute fin de son opus: «Le livre se referme-t-il. Les mots continuent. C’est que les garçons magiques ont des corps vivaces.» La vie continue. The show must go on.

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Jean-Paul Daoust
Bromont, La Grenouillère
2022, 192 p., 24.95 $