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À corps perdu

Avec Mouvements, Catherine Voyer-Léger inscrit dans un objet pérenne (le livre imprimé) sa quête d’enracinement.

Thématique·s
Récit

Avec Mouvements, Catherine Voyer-Léger inscrit dans un objet pérenne (le livre imprimé) sa quête d’enracinement.

Thématique·s

Il y a de ces gens qui se plantent en sol très vite. Peut-être ont-ils déjà de puissantes racines facilitant le rempotage. Il existe pourtant de jolis épiphytes comme les tillandsias, des plantes aériennes sans accroches qu’il suffit d’immerger quelques fois pour qu’elles soient revivifiées. J’ai toujours trouvé rassurante la possibilité de vivre pleinement sans ancrage. Probablement parce qu’elle me conforte dans ma façon de ne jamais m’attacher.

Qu’est-ce que cela dit de nous, au-delà des diagnostics cliniques d’usage? Une éternelle quête de l’«à distance», une vie d’observatrice. Jusqu’au jour où l’on croit que la maternité nous lestera enfin. Pour le meilleur et pour le pire.

Dans ce recueil de microrécits très inspiré, Catherine Voyer-Léger offre ce qu’elle fait de mieux: elle constate et documente avec acuité une expérience personnelle. Si dans Nouées (Québec Amérique, 2022), l’autrice explore également en prose les différentes textures intimes de la filiation, elle expose dans Mouvements les mécanismes du perpétuel dépaysement volontaire à l’aide d’instantanés pigés dans ses boîtes de photos.

Du paradoxe comme esthétique

Tout dans cette entreprise repose sur la dualité et le paradoxe. Le mouvement et l’aspect figé de la photographie. La solitude et la fuite. L’arrachement et le désir de rencontre. La liberté et l’engagement. Et les «sens qui ne piochent jamais trop du même bord».

Voyer-Léger propose une lecture sans compromis de ses propres contradictions, brossant un autoportrait en fragments, que les lecteur·rices s’amusent à comparer, à tenter d’emboîter. Ceci n’est pas un livre: c’est un kaléidoscope dont les figures ne cessent de se transformer. Pas étonnant qu’à ses débuts, ce texte ait été un projet virtuel, mouvant.

Au cœur de l’entreprise, on retrouve – moins présentes que dans Nouées, mais tout de même inévitables – les aspérités du rôle de mère adoptive de l’autrice et donc son enfant, nouveau «centre» autour duquel elle tourne en boucle.

Je pourrais dire que je tourne moins en rond. Mais c’est faux. Je tourne sur un autre axe.

On m’avait dit que je serais moins en mouvement. Mais c’est faux. Mon mouvement revient plus souvent.

Intercalées un peu partout dans le recueil, des descriptions de cette vie domestique font contrepoids à la fuite, aux routes, aux hôtels, aux décors toujours changeants où la narratrice semble s’étourdir sans relâche.

La maternité ne nous fixe pas au sol. Mais peut-être offre-t-elle une destination plus claire, à défaut d’arrêter les roues.

Ce qui bouge ne meurt pas

On suit également, outre ses nombreux départs et ses brefs passages dans la vie des autres, les trajets en voiture de l’autrice, qui avale les kilomètres comme on binge-watche une série télé avec délectation. La possibilité d’enchantement n’est jamais bien loin.

En auto, on voit la vie différemment. C’est à cause du pare-brise peut-être. Sur les autoroutes, le ciel est grand. Il m’arrive de m’imaginer que je fonce dans la beauté du temps.

Le souffle de la narration colle à cette incessante course; les destinations se percutent, se répètent, se déclinent en train, en avion, en course à pied. Les noms des villes, des villages: des lieux sur une carte de plus en plus raturée d’itinéraires empruntés, fragilisée. Ce mouvement aura aussi chez Voyer-Léger un impact sur son rapport au temps. La forme littéraire du livre y répond en mêlant l’enfance, l’adolescence, la jeune vie adulte et le présent comme des pièces de puzzle. Elle a dix ans. Elle en a trente. Le credo demeure le même.

Je pense toujours demain. Et demain est toujours ailleurs.

Il y a un petit air de Valère Novarina dans ce constat d’esquive, où la narratrice s’interdit de faire halte de «peur que la vraie vie [la] happe en marge de [son] mouvement». La réalité s’avère moins terrifiante à distance, comme les paysages vus d’un avion. «De haut, comme ça, toutes les villes sont des pataugeoires.» Ainsi, aucun risque de s’y noyer, mais la chance d’y plonger son regard éperdu.

Voyer-Léger (se) raconte sans pudeur et sans complaisance, exposant les failles d’une femme en marge, avec sa «liberté singulière», son amour – à apprivoiser à la dure – pour un enfant qui change la donne (ou pas) et son appétit insatiable d’espace.

Si une annexe abordant le rapport de l’écrivaine à l’autoroute de son enfance se révèle un peu moins aboutie (selon moi, elle fait figure d’ajout inutile à un projet déjà bien cerné), ce énième objet inclassable de la part de Catherine Voyer-Léger nous démontre encore une fois à quel point elle maîtrise l’art de mettre en images simples ses questionnements et ses contemplations.

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Catherine Voyer-Léger
Sudbury, Prise de parole
2022, 124 p., 22.95 $