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Comparution

Qu’est-ce qui relève de la «simple» injustice et qu’est-ce qui appartient au domaine du cas? Comment la douleur, la spoliation et le silence font-ils leur entrée (ou non) dans une cour de justice?

Nouvelle

Qu’est-ce qui relève de la «simple» injustice et qu’est-ce qui appartient au domaine du cas? Comment la douleur, la spoliation et le silence font-ils leur entrée (ou non) dans une cour de justice?

En cherchant «à savoir ce que peut encore la littérature là où le judiciaire rencontre ses limites», Le cas n’explore pas que l’arène du tribunal; au contraire, l’ouvrage s’intéresse davantage à ce qui la borde, à ce qui résiste à son assimilation par le discours légal ou, à l’inverse, à ce qui est rejeté par les instances de pouvoir. Ainsi, les onze auteur·rices du collectif se présentent comme un véritable jury qui met en examen la notion même de jugement – légal, moral, éthique.

Mais plus que le système judiciaire, ce sont aussi les procédés de prise en charge littéraire de la criminalité qui sont appelés à comparaître dans la plupart des textes. Le livre adopte une approche qui n’est pas éloignée de ce que nous apprend la mouvance critique «Droit et littérature» (à l’origine principalement américaine), qui interroge autant le droit des arts que la place occupée par le premier dans l’imaginaire des seconds: pensons notamment à l’esthétique forensic, qu’étudie Vincent Lavoie, ou aux travaux épistémocritiques de Christine Baron. Imprégné de ces champs de recherche, Le cas sait pourtant s’en émanciper suffisamment pour donner à lire autre chose qu’une interprétation à saveur fictionnelle de la théorie littéraire. Tout compte fait, il s’agit moins de nourrir le récit par la loi que de déterminer ce que peut la fiction pour aborder des enjeux plus larges.

Hors normes

Non pas tant «le cas» que «les cas», donc, puisque chaque nouvelle sonde un événement, un fait divers différents. Les lecteur·rices passent par la reprise d’un éventail de récits collectifs traumatiques: le féminicide de Polytechnique (Cassie Bérard), l’Ordre du Temple solaire (Rosy L. Daneault), la disparition et l’assassinat de James Bulger (Sacha Levin-Roy), les attentats du 11septembre (Anthony Julien) ou ceux du Bataclan (Elisabeth Simeone-Otis) sont autant de prétextes à l’interrogation d’un imaginaire du crime. En contrepoint, les enquêtes aux accents plus familiaux proposées par les narratrices d’Alexandra Boilard Lefebvre et de Marie-Pier Lafontaine permettent de penser la dimension plus intime de la violence, sans toutefois lui retirer son caractère social.
 

Si certaines fictions – notamment celles d’Alexandre Côté-Perras et d’Antoine Dussault St-Pierre – flirtent de manière explicite avec le surnaturel, et d’autres avec le pathologique (David Samborski), elles n’en restent pas moins autant collées au réel de la loi qu’éloignées du juridique lui-même. Le paranormal, somme toute, devient alors ce qui, au sens strict, déroge à la norme, le registre fantastique n’étant qu’une extrapolation plus fantasque que les autres de cet enjeu central: qu’est-ce qui s’impose au sujet en guise de prescription sociale?

«Scrappy-book»

Chaque nouvelle témoigne d’un travail de documentation et de réflexion poussé qui, s’il n’a pas été produit par le contexte d’écriture, a sans doute été favorisé par celui-ci. En effet, puisque les textes ont été rédigés dans le cadre d’un séminaire de recherche-création en études littéraires («Fabriquer la preuve», UQAM, 2019), ils ne sont pas le résultat de commandes individuelles, mais plutôt le fruit d’un partage au long cours et d’une mise en commun centrée autour d’une idée fondatrice et disséminée au sein de pratiques singulières.

Cependant, la cohésion de l’ensemble ne s’explique pas seulement par cette prémisse: la «trame narrative unificatrice», intercalée entre les nouvelles indépendantes, resserre les liens entre les propositions et donne au recueil un véritable caractère d’exception. Composée à huit mains (par les membres de l’équipe de direction), cette trame raconte la découverte par Cassie, Ludovic, Alexandre et Rosy – avatars autofictionnels des auteur·rices – du «mal de Scrappy», une affection imaginaire qui se caractérise par la fusion mortelle de deux ou plusieurs individus dont les consciences et les chairs se conjuguent: «L’intrigue du mal de Scrappy serait la métaphore des vertus homogénéisante et réifiante de l’objet recueil. Nous y serions une entité dotée de quatre bouches.» Éponyme de la publication, la trame enclave dans le livre – et toujours sous forme fictionnelle – une proposition autoréflexive par laquelle l’ouvrage interroge sa propre constitution. Le cas ne cherche sans doute pas à absoudre ni à condamner qui ou quoi que ce soit, mais il fournit certainement la preuve des valeurs heuristiques de la fiction.

Auteur·e·s
Individu
Type d'entité
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Auteur
Article au format PDF
Collectif
Montréal, L'Instant même
Exploratoire
2021, 216 p., 24.95 $