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Comment voler un livre québécois

La vie dans les ruines

C’est le temps des fêtes, vous voulez encourager la littérature d’ici, mais l’inflation a oblitéré vos maigres économies? La solution est simple: volez le dernier ouvrage de votre auteur·rice préféré·e! C’est facile, c’est amusant et, surtout, c’est un beau geste pour la culture car, comme l’a dit le premier ministre, l’industrie du livre a un besoin vital de lecteur·rices. Il n’a toutefois pas spécifié s’il fallait payer pour cette marchandise, alors aussi bien y aller avec l’option au rabais – d’autant plus que vous avez probablement comme moi flambé depuis longtemps le chèque électoral de cinq cents dollars qu’il nous avait offert pour des produits d’ultra-luxe tels que l’approximation de thon en conserve et le macaroni au fromage à saveur de poudre orange fluorescente.

Commencez par vous rendre dans une librairie à grande surface. Ne vous donnez pas la peine de chercher la librairie indépendante de votre quartier, elle a fait faillite pendant la pandémie. Ensuite, choisissez un livre québécois. Ils sont faciles à identifier: si les remerciements envers les organismes subventionnaires sont plus nombreux que ceux adressés par l’auteur·rice à ses proches, c’est que vous avez affaire à un bouquin bien de chez nous, car tout le monde sait que la subvention est notre tradition littéraire la plus vénérée.

Je vous conseille de voler un livre de poche assez mince, avec une couverture souple, car il sera plus facile à cacher. Vous pouvez toujours tenter votre chance avec une saga historique de sept cents pages imprimée en gros caractères, mais c’est à vos risques et périls: la sécurité est très stricte chez Costco. Si vous ne savez toujours pas quel bouquin choisir, je vous recommande Le vide: mode d’emploi d’Anne Archet; elle passe son temps à faire de l’incitation au crime sur les réseaux sociaux, alors il est raisonnable de tenir son consentement pour acquis.

L’étape suivante est cruciale. Vous devez trouver la puce antivol qui se trouve soit sous l’étiquette de prix, soit insérée quelque part entre les pages. Décoller une étiquette est un exercice périlleux et je vous recommande de le faire discrètement dans le bac des livres en solde. Personne n’ira soupçonner que vous vous apprêtez à voler un de ces navets défraîchis qui n’échappera pas au pilon, alors vous pourrez accomplir votre forfait tranquillos.

Le reste est une question de cran et de contrôle de vos glandes sudoripares. Cachez le livre sur vous ou dans la poche intérieure du sac à main surdimensionné que vous avez volé la veille chez Tigre Géant grâce à la complicité bienveillante des commis, qui de toute façon ne sont pas payé·es assez cher pour se donner la peine de vous prendre la main dans ledit sac – pourvu que vous ayez pris l’habitude de les traiter comme des êtres humains (ce qui est somme toute assez rare de la part des client·es des commerces de détail). Ensuite, passez à la caisse et achetez un truc quelconque. De nos jours, les librairies vendent des tas de trucs qui coûtent dix fois moins cher au Dollarama, comme des bonbons, des stylos, des tasses à café et d’autres babioles néo-kitsch et post-affreuses. Allez-y pour le bidule à plus bas prix et n’oubliez pas de traiter les employé·es avec gentillesse, parce que – faut-il le rappeler – iels ne sont pas payé·es assez cher pour tolérer votre attitude de marde.

Attention! Ne sortez jamais d’un commerce sans rien acheter. Les seules personnes qui ont de la valeur aux yeux des commerçant·es sont les client·es, et ce n’est pas le temps de cesser d’avoir toujours raison, vous avez un vol à accomplir.

Il ne vous reste plus qu’à quitter la librairie sourire aux lèvres, tout en savourant le rush d’adrénaline qui accompagne votre bonne action. De retour à la maison, enveloppez votre livre dans du joli papier coloré et offrez-le à la personne de votre choix, un membre de votre famille, une collègue de travail ou votre propriétaire, à qui vous devez un loyer en retard. Comme vous, iels feront semblant de le lire, publieront sa photo sur Instagram, le placeront dans leur bibliothèque et finalement iront le vendre à L’Échange quand il aura accumulé assez de poussière.

L’autre solution est de télécharger le livre en format ePub sur un des nombreux sites de piratage de partage de fichiers que vous trouverez facilement sur Internet. Le risque est moindre, mais la récompense est à l’avenant, parce que soyons honnêtes, quel capital social allez-vous accumuler avec un tel geste? Qui est impressionné·e de nos jours par un dossier de liseuse rempli de titres? Personne, c’est moi qui vous le dis.

Enfin, que devez-vous faire si vous voyez quelqu’un d’autre voler un livre québécois? Rien, parce que (ahem) vous n’avez pas vu quelqu’un voler un livre québécois.

 


Anne Archet écrit en ligne depuis que le Web est Web, ce qui veut dire qu’elle contribue à accélérer les changements climatiques. Depuis qu’elle écrit des livres, elle aggrave aussi la déforestation.

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