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Comme un souvenir de miel

La toxoplasmose, infection parasitaire essentiellement véhiculée par les excréments de félins, est à l’origine du titre du neuvième roman de Calvo: Toxoplasma.

Littératures de l'imaginaire

La toxoplasmose, infection parasitaire essentiellement véhiculée par les excréments de félins, est à l’origine du titre du neuvième roman de Calvo: Toxoplasma.

L’ouvrage de près de 400 pages est publié aux éditions La Volte, connues pour le haut calibre de leurs parutions (La horde du Contrevent d’Alain Damasio ou le collectif Au bal des actifs, par exemple). En plus d’une couverture à rabats attrayante, la mise en page et la sélection du papier témoignent du souci de qualité constant de la maison d’édition française. Cet écrin magnifie le récit fantastique et science-fictif de Calvo, auteure montréalaise d’origine française à l’imagination époustouflante.

L’écrivaine a choisi pour cadre une île de Montréal assiégée, dont l’effondrement est imminent. Les insulaires sont barricadés dans la Commune, «un caillou lancé dans la mare du futur». Ils vivent de manière autosuffisante à l’intérieur de cette enclave où l’électricité fonctionne par intermittence et où l’accès à l’eau est difficile. Bon nombre d’habitants consomment de la grume, sorte de cidre hallucinogène, véritable «terreur au goût de miel». Au sein de ce microcosme coupé du monde, une nostalgie typiquement eighties plane, l’une de ses manifestations étant la présence de clubs vidéo louant des cassettes VHS et Betamax.

Nikki Chanson, l’une des deux héroïnes (avec sa compagne Kim) de ce récit haletant, est commis au club vidéo Millenium. Passionnée de films cultes, la jeune femme est intriguée par des graffitis à tendance chamanique. Elle s’aperçoit rapidement que des animaux mutilés voisinent toujours ces inscriptions. Nikki décide alors de mener une enquête personnelle sur ces «meurtres rituels, formant une progression cohérente dans la folie», d’abord épaulée par son amoureuse. Mais les jeunes femmes se disputent et elles poursuivent dès lors leur quête en parallèle: Nikki avec une marionnette pour enfants (les peluches perdent aussi parfois leur tête) et Kim dans les entrelacs de la Grille, réseau élitiste post-internet, qu’elle trafique. Kim, «coureuse des bois virtuels», infiltre la firme de jeux vidéo Vectracom. Pendant qu’elle se livre à cet espionnage, Nikki rêve de forêts vertigineuses et de nature qui périclite; ces visions fabuleuses donnant lieu à de superbes passages: «La fée de ce bois mourant est une danseuse qui esquisse des paysages sur le délié de ses mains.»

Ces forêts à l’agonie seraient-elles liées à l’imaginaire clandestin, sibyllin, de Montréal, «décor de cinéma interchangeable»? Pourquoi ces bois oniriques ressurgissent-ils au cœur d’une métropole futuriste décadente, enclose en elle-même tel un théâtre de rêves indigènes?

Personne ne viendra sauver Montréal

L’imaginaire de Calvo est singulier, très personnel. L’écrivaine convoque dans Toxoplasma la poésie et le burlesque, l’aventure et l’onirisme. Tout cela en plus de la science-fiction et du fantastique, qui s’entrelacent parfaitement. Le don de l’auteure pour allier les genres, les atmosphères et les registres langagiers est magistral. À aucun moment l’unité du livre ne chavire. Au contraire, nous sentons que chacun des chapitres a été réfléchi et que Calvo, bien que capable d’envolées poétiques puissantes, modère, jugule, ses moyens. L’humour est également bien intégré, malgré le drame ambiant:

— Oui, mais, est-ce qu’il y a une histoire d’amour? […]
— Ah mais bien sûr monsieur. Il faut beaucoup d’amour pour faire exploser une tête.

Par conséquent, les dialogues sont vifs et rythmés, crédibles si ce n’était de la présence de «putain», «connard» et autres «à la con» en guise de jurons dans la bouche de presque tous les protagonistes québécois (ce que je pardonne à l’écrivaine d’origine marseillaise).

L’ensemble de Toxoplasma est porté par un mouvement inné, naturel, et une langue savoureuse. L’œuvre darde un délicieux regard apocalyptique sur la métropole: «La lente descente dans le chaos continue sous le soleil de plomb, attisée par la pénurie d’eau et l’isolation de l’île. Le continent est en guerre. Personne ne viendra sauver Montréal.»

Sous les arbres endormis

Toxoplasma est un roman particulièrement accompli, au goût de miel — et de fin du monde — persistant, à l’instar de la grume. Une porte d’entrée dans un Montréal chatoyant à la manière de l’œil d’un chat, où les drones se confondent avec les abeilles. En complément, pourquoi ne pas (re)voir Shivers de David Cronenberg? Puis, en programme triple, Les guerriers du Bronx suivi des Rats de Manhattan? Car, avouons-le, «au fond de nous, nous voulons cette fin du monde». ♦

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Calvo
Clamart (France), La Volte
2017, 384 p., 35.95 $