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Chrysanthème ascendant Oiseau

Chrysanthème ascendant Oiseau

Y a-t-il plus dangereux, en matière de genre, que l’appel de la nature?

Essai

Y a-t-il plus dangereux, en matière de genre, que l’appel de la nature?

«Such a position, the positioning of genre, is ontologically untenable, and in my view dangerous1.» Le regard quasi serpentin que posait Nathanaël sur la poésie laissait déjà entrevoir Le cri du chrysanthème. Je commence ainsi par le regard parce que ce sont les yeux qui rendent à ce livre, ponctué d’images, sa première évidence: «Dans aucun des films de Pasolini il ne pleut.» À la lisière de ce qui s’entend comme vérité et de ce qui préserve son ombre de doute, la voix inimitable de Nathanaël jette sa main au feu: «Je le dis sans assurance et avec l’assurance inébranlable de cette certitude qui me tient: aucune pluie chez Pasolini.» Pourtant, cette certitude réconfortante qu’offre le regard impérieux du littéraire sur les images est rapidement mise à mort. Comme pour permettre au cri de parfaire son acoustique, ce sont les notes d’une voix s’accordant à l’entre-deux des choses qui émergent: «d’une voix entièrement imprenable, une voix qui avait une part d’océan, et sa part de noyades, de noyades, de chavirements, d’archipels et de récifs mourants.»

Dès le début, on se laisse prendre au jeu de la mémoire filmique — Visconti, Sokourov, Antonioni, Duras, Godard, Ingster, Lang, Boorman, Varda, Kazan —, et par la beauté des images qui, toujours chez Nathanaël, naissent et survivent au débit des cascades. Le même vertige, l’écume, le fracas, mais aussi le mouvement qui fait qu’en tombant on a envie de rester dans la chute. D’apprendre, comme les sirènes, à y remonter en chantant.

De sable et de tristesse

Le cri du chrysanthème est un éventail de textes prononcés à l’Institut du Tout-Monde à Paris et à Montréal, parfois modelés à partir de phrases déjà publiées, puis nourris, par pincées, des traductions de Nathanaël. Mais, plus heureux encore que la chronologie et la forme toute en plis qui rappelle l’objet avec lequel on attisait jadis le brasier, c’est de lire avec fébrilité. Non, non, pas celle du premier rang. Celle des coulisses. Cette intimité-là d’une écriture en performance qui s’entend, se reçoit, dans le murmure d’un rideau qui en cache un autre.

Entre ce qui est tout autant textile que tactile, il y a l’image du drapé et de la chute. Ensemble, ces différents rythmes et textures signent l’abondance, l’indécidable: un tout-à-la-fois qui ne permet pas de crier au chaos ni à la fatalité. Parce que si, dans l’essai, il y a la pluie «et l’absence de pluie», il y a plus poétique encore: les larmes. L’eau qui fait porter aux visages la preuve du partage difficile entre l’amour et la tristesse. «Nous nous sommes traduits. Les unes et les uns. Et nous-mêmes. C’était une première tentative. Un premier échec. Sous la forme, peut-être, d’une étreinte.»

À la fois souple et cohérente, l’œuvre de Nathanaël donne l’impression de ne jamais épuiser son sujet. Elle en assure, comme d’un bras à deux mains, la motilité. Son écriture connaît trop l’histoire de la linéarité pour s’y fier et consentir à en perpétuer le mensonge. Le geste est complexe. La voix est autre: «Que même une traduction ne saurait la sortir de là. Et que le désir de la repêcher est un désir défunt, qui appartient à une forme de vitalité qui n’a plus cours, par cette époque de massifs effrités.»

L’aura du chrysanthème,
l’impératif des oiseaux

Après Genet et Bachmann, Nathanaël cite Kuki Shz, déverrouillant ainsi l’une des portes dont est fait, par centaines, Le cri du chrysanthème: «Quand la réalité s’affronte au néant, quand le néant vient frôler le réel, nous ne pouvons retenir notre surprise et nous nous écrions […]: Pourquoi?» Ce Pourquoi? qui détonne est l’artère principale d’un livre qui ne vise pas à statuer sur aucune des questions qu’il aborde. Le pari, s’il n’y en avait qu’un, serait celui de la dérive. D’arriver à maintenir le double horizon des choses, le sens infini des mots qui se tiennent, bras dessus bras dessous, «devers la mer», en «contre-plongée».

Si le cri est communément associé à l’expression d’un désir, d’une colère, il y a dans l’aura du chrysanthème tout le symbolisme contesté des passions. «Il faudra recourir à plus que le regard», écrit Nathanaël au début de l’essai. Eh bien, je me demande s’il est possible, à la fin, de trancher sur la couleur du chrysanthème qui donne à ce regard un tel impératif: celui d’arriver à voir double, triple, plus loin, sans égard aux limites du ciel ou de la mer, mais surtout sous différents angles et en ne perdant pas de vue le mouvement puisque «la juste mesure de l’oiseau ne peut être calculée, si ce n’est au vol». Et si trancher sur la couleur en venait à fendre, d’un geste vain, la langue des fleurs, les ailes de l’oiseau? ♦

  • 1. Rob Mclennan, blogue 12 or 20 questions, 5 octobre 2007.
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Nathanaël
Montréal, Le Quartinier
2018, 112 p., 13.95 $