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Changer le plomb en or

En pleine possession de son art, Hélène Dorion poursuit ses travaux d’éclaircissement poétique chez son nouvel éditeur français.

Poésie

En pleine possession de son art, Hélène Dorion poursuit ses travaux d’éclaircissement poétique chez son nouvel éditeur français.

Publié chez Bruno Doucey, ce petit livre à la facture sobre et très bien travaillée construit des avenues de clarté sereine, échafaude ses théories sur l’amour et le bonheur, propose des éléments de réponse aux questions d’une existence entière. «Tout ce qu’il faut de lumière, tout/ce qu’il faut d’ombre pour tenir au faîte/de soi-même […] C’est en haut, tout en haut qu’est ta vie». Quand on connaît l’auteure, on ne peut ignorer l’enchevêtrement de plusieurs influences: la recherche philosophique, la discipline et la force intérieure — peut-être héritées de la pratique du yoga? —, l’amour partagé, les amitiés reprises ou perdues à jamais, la nécessaire proximité du paysage et de sa beauté nourricière.

La longueur des poèmes frappe d’emblée. Des pages bien remplies, des vers amples, des phrases profuses et généreuses: tout cela est aussi bien le signe d’une grande liberté que d’une urgence, comme si la poète voulait maintenant dire sans ambages ce qui alimente sa quête. Aux amateurs d’émotions fortes, de poésie impétueuse et aventureuse, certaines images pourront parfois sembler rebattues. Mais, devant la «coupe des caresses», le «souffle des choses», les «bras du temps» et la «pulsation du monde», on se convaincra rapidement, tant la qualité du livre est indéniable, qu’un peu d’évanescence et de naïveté poétique étaient nécessaires. Appelons cela la confiance en soi: Hélène Dorion assume entièrement ce qu’elle écrit, car la demeure qu’elle veut atteindre se trouve en hauteur, et sa route est pavée de toutes les poésies déjà fréquentées. Comme une promesse, une ouverture.

On voudrait la route comme un souffle
les cloches pour la joie de l’âme
l’orage égaré, la défaite qui ne pèse
et partout l’horizon où grandissent les voiles.

L’amour qui montre à vivre

La vie, avec ses multiples compartiments, se trouve interpellée ici. Le présent sera fait de quelques certitudes venues sur le tard et d’une somme d’inquiétudes quasi intraduisible qui constitue la personnalité profonde de la poète. Qu’elle nous parle du père, de la mère, des auteurs aimés, la poésie d’Hélène Dorion n’aura jamais été aussi incarnée, aussi présente au quotidien, aux humains qui lui ont inspiré la passion, à tous ces êtres qui ont envahi son imaginaire, provoquant chez elle un insatiable besoin d’harmonie et de joie.

L’amour n’est jamais orphelin chez Dorion. Comme les souvenirs, il sera pris en charge par le poème. Les scènes de la vie passée peuvent bien rester secrètes: c’est la leçon qui compte, c’est le nouvel équilibre qui résulte du brassage des émotions, qui se réinstalle après chaque envolée comme après chaque blessure.

C’est une existence faite de rencontres, de plages temporelles, d’abandons, de recommencements, de poussées vers la lumière qui est proposée là, et l’on se dit que le titre du livre, Comme résonne la vie, était un choix judicieux puisqu’il embrasse toutes les expériences et tous les possibles. On se rappellera le précédent titre poétique de Dorion: Cœurs, comme livres d’amour (L’Hexagone, 2012). Puis, incidemment, on notera l’usage assez fréquent du mot «comme», par exemple dans les derniers vers du poème liminaire: «et comme résonne étrangement l’aube/à l’horizon, enfin résonne ta vie». Les poètes sont sans cesse à combattre la tentation du comparatif. Ici, on croirait que Dorion s’empare délibérément de ce procédé, qui est aussi décrié et snobé que la métaphore. Peut-être y a-t-il une tendance? Cela me rappelle en tout cas le titre d’un roman du très nobélisable Javier Marias: Comme les amours.

Le passé qui vous transforme

La nature est toujours présente chez Hélène Dorion, et peut-être plus nécessaire que tout le reste. La beauté du milieu de vie inspire les poèmes et devient une sorte de gage, un terreau fertile pour l’amour et l’amitié, sorte d’éden secret où se poursuit l’évolution de l’être:

et le rideau se déchirera, tu seras
au milieu de toi-même comme
d’un jardin faste, tu retrouveras
les plus petits gestes
et tout le paysage
tu le recommenceras.

Pour les poètes, il en va des amours comme de chaque expérience passée: tout est apprentissage, tout deviendra le levain des jours à venir. Ce n’est pas autrement que procède l’alchimiste qui transforme le plomb en or. Ainsi, une longue tranche de vie succède à une autre. Et les vestiges, les décombres fumants des endroits aimés sont transformés en milieux instables, parfois orageux, toujours vivants malgré la torpeur qui peut s’en dégager. «J’ai pensé — la maison en ruine, le nom des rues/qui s’étiole, les roses dans le jardin/comme une cité abattue».

Portée par la profondeur et la simplicité, la quête intérieure d’Hélène Dorion se poursuit, plus ample et plus souveraine que jamais. ♦

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Hélène Dorion
Paris, Bruno Doucey
2018, 80 p., 19.95 $