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Capteurs d'élan

Pour peu que l’on s’intéresse au cinéma, il faut lorgner du côté des éditions Somme toute, qui commencent à se forger un catalogue pertinent sur le septième art. À preuve: leur plus récente parution, XPQ: traversée du cinéma expérimental québécois, publiée en collaboration avec la Cinémathèque québécoise (CQ).

Thématique·s
Beau livre

Pour peu que l’on s’intéresse au cinéma, il faut lorgner du côté des éditions Somme toute, qui commencent à se forger un catalogue pertinent sur le septième art. À preuve: leur plus récente parution, XPQ: traversée du cinéma expérimental québécois, publiée en collaboration avec la Cinémathèque québécoise (CQ).

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Sous la direction de Ralph Elawani (qui collabore également à LQ; NDLR) et de Guillaume Lafleur, directeur de la diffusion et de la programmation à la CQ, l’ouvrage, hybride, à mi-chemin entre le bel objet et le livre de facture standard, s’impose néanmoins comme un essai à part entière sur un sujet souvent délaissé au profit d’histoires plus officielles. Niché, il est vrai, et bien que traitant d’une réalité québécoise, XPQ puise aussi dans les richesses du cinéma mondial. Il propose un panorama qui paraîtra sans doute trop bref aux yeux de certain·es – «malédiction d’un travail non exhaustif», comme l’affirment «L’un» et «L’autre» dans l’avant-propos –, mais la «traversée» de ce «régiment d’indociles» est étonnante.

Kaléidoscope

Créée à partir de photogrammes de films de Daïchi Saïto par l’artiste collagiste Marie-Douce St-Jacques, la couverture, d’un noir et blanc contrasté, est agrémentée de trois lettres orange fluo, comme une constellation enflammée dans le ciel: «X», «P» et «Q». Les images présentées entre les chapitres sont également signées du coup de ciseau de St-Jacques.

Tel un kaléidoscope, le cinéma expérimental constitue, aux yeux de l’artiste, un foyer de réagencement, un brasier de lumière et de poésie prestidigitatrice charpentant des œuvres multiples et plurielles.

Ces mots, écrits à propos du travail de la collagiste, conviennent aussi au présent ouvrage, d’une grande richesse esthétique: pensons notamment à la mise en page, au choix des fontes et au soin apporté aux visuels (images de films, photogrammes, photos d’artistes, documents d’archives). Le seul bémol réside dans l’application d’un filtre mauve sur la quasi-totalité des éléments visuels, dont la lisibilité est altérée. Peut-être aurait-il été judicieux d’ajouter une touche chromatique complémentaire, comme cet orange fluo de la couverture, question de briser un tantinet la monotonie.

Histoire(s) du cinéma

Respectant la chronologie du cinéma expérimental – de ses balbutiements à la vidéo expérimentale, en passant par ses croisements avec le cinéma d’animation et le retour à la création analogique avec le collectif Double négatif –, les contributions exposent aussi les autres facettes de cet art «souvent indissociable de ses lieux de diffusion». Diffuseur·ses, praticien·nes et programmateur·rices défilent dans des entretiens qui apportent une synergie palpable et un intérêt grandissant pour les lecteur·rices. L’entrevue avec Benjamin R. Taylor, membre fondateur du microcinéma la lumière collective, nous éclaire sur les défis que présente la diffusion en salle de ce type de productions. Songeons aussi à l’entretien mené avec Pierre Hébert: tout en revenant sur son itinéraire personnel, il dresse un bref portrait historique de ce cinéma plus underground. De plus, les divers·es collaborateurs·rices couvrent plusieurs champs où le cinéma expérimental a pu exercer son influence: le social, le politique, l’esthétisme, l’art et la musique. Ils et elles rendent palpable la puissance du septième art, «plus excitant que le phosphore, plus captivant que l’amour», comme l’écrivait Antonin Artaud. Le survol que propose Fabrice Montal dans son texte est à cet égard un bon exemple. En balisant l’histoire du cinéma expérimental à partir de la vidéo, il met en évidence les possibles ramifications de cet art pluriel et protéiforme. De plus, les œuvres qu’il présente sont, comme le souligne Guillaume Lafleur dans son entretien avec la cinéaste Louise Bourque, en constant dialogue avec la notion de cinéma expérimental. Les recoupements multiples et fertiles avec les autres disciplines sautent dès lors aux yeux. De telles contributions sont particulièrement éclairantes.

Je demeure plutôt sceptique quant au post-scriptum signé par André Habib, qui reprend l’intégralité de sa préface au livre du cinéaste Daïchi Saïto, Moving the Sleeping Images of Things Towards the Light (2013), publié aux éditions du Laps. N’aurait-il pas été plus intéressant d’ouvrir vers des perspectives futures? Ou cela aurait-il rendu l’ouvrage un brin trop «culturel»? Habib, émotionnellement attaché à l’œuvre du cinéaste, «qui semble toujours être enracinée ici», en explique cependant des subtilités qui témoignent d’un moment charnière de l’histoire du cinéma expérimental montréalais. À travers le prisme de la pratique de Saïto, Habib condense les exigences et les préoccupations de cet art exploratoire, d’une puissance poétique inégalable.

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Article au format PDF
Ralph Elawani, Guillaume Lafleur
Montréal, Somme toute
2020, 320 p., 35.95 $