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À bout portant

Ici vivent une vingtaine de personnages issus d’un même quartier dont l’auteur fera entrevoir les grandeurs et les déchéances. Chacun possède des motifs propres qui le contraignent, qui l’encouragent ou l’annihilent, mais tous vivent la même quête, celle de mener à bien leur condition humaine.

Roman

Ici vivent une vingtaine de personnages issus d’un même quartier dont l’auteur fera entrevoir les grandeurs et les déchéances. Chacun possède des motifs propres qui le contraignent, qui l’encouragent ou l’annihilent, mais tous vivent la même quête, celle de mener à bien leur condition humaine.

Rien n’épargne le lecteur dans ce roman qui expose laideur et abjection humaines. Certains passages difficiles à soutenir nous pétrifient ou nous tiraillent entre le déni et la révolte. L’intention n’est pourtant pas d’user de provocation mais de choisir la lucidité. Mis devant nos deuils inconsolables, nous pouvons en saisir l’ampleur, consentir à la chute, et finir, après la fatigue, après l’insoupçonnée souffrance, par puiser en nous des beautés nouvelles.

La disparition d’un enfant sera l’événement central qui déclenchera tous les autres. Dans ce quartier de l’est de Montréal où le drame a eu lieu vivent des dizaines de personnes ayant toutes des mobiles différents qui conduisent leurs pas. DesRochers sait dessiner très nettement les contours de ses personnages et des situations. Après avoir lu seulement quelques lignes, le lecteur a devant lui un protagoniste, les lignes majeures de sa personnalité et les enjeux auxquels il est confronté. Surtout, l’auteur arrive à lui insuffler une humanité laissant filtrer une dimension et une profondeur qui se répandent dans toute l’œuvre.

Patchwork

Tous ces égos s’enchevêtrant forment un modèle réduit de notre société, ce qui n’est pas sans rappeler le cycle romanesque de l’écrivaine Marie-Claire Blais. Derrière l’ensemble que compose cette population bigarrée, se trouvent des individus qui recèlent tous une intimité silencieuse. C’est dans les voûtes de l’âme humaine que nous engage la lecture de ce livre. Jean-Simon DesRochers, tout comme il avait réussi à le faire dans son premier roman, La canicule des pauvres, nous révèle ici la face cachée d’êtres anonymes.

Parmi les multiples voix, celle de Patrick, le poète maudit. Le hasard, à moins que ce ne soit autre chose, lui fera rencontrer Diane, la mère éplorée de l’enfant disparu. Leur misère servira de combustible à la violence et la médiocrité. La suite est aussi brutale que rapide. Des mouvements secs, sans tendresse, des chairs violentes qui s’amusent à se frapper jusqu’à l’idée d’un plaisir.

Derrière une autre porte, un homme a pour principe de ne vivre que des amours fugitifs qui ne vont pas au-delà de trois semaines, car il préfère garder intact le concentré des premiers émois que de risquer l’étiolement à petit feu. Convaincu d’user de son libre arbitre, on sent poindre son doute de ne pas avoir donné de chance au sentiment plein que procure la sensation de deux vieilles mains fripées l’une sur l’autre.

Encore là, en fin observateur du genre humain, Jean-Simon DesRochers ne se contente pas de présenter grossièrement ce que l’on remarque à vue. Il creuse pour dénicher l’insondable et déploie admirablement les multiples facettes qui font de l’homme ce qu’il est, cet animal étrange.

Fred, le pyromane, fabule la beauté dans la lueur des flammes dont il est l’instigateur. Au hasard d’un incident dans le restaurant où il est plongeur, il ressent dans l’embrasement d’un rideau une forte pulsion qui le submerge entièrement.

Fred ne voyait pas un feu, il examinait une métamorphose lumineuse: celle d’un rideau rouge en minuscules particules noires. L’objet muait trop vite et ce bouleversement produisait une formidable entité de lumière brûlante. Fred avait l’impression d’être un phalène. Cette lumière était la vie. Pas la vie… Le sens de la vie… Le soleil…

Depuis, il cherche à faire renaître l’ardente maîtresse. Le pouvoir procuré par la planification et la réalisation de son fantasme lui donne la valorisation qu’il ne trouve ni dans son travail ni chez la fille qu’il convoite et qui semble ignorer jusqu’à sa présence. Tandis que le brasier attisé par ses mains étend sa dévoration en faisant danser sa lumière purificatrice.

Plusieurs autres hommes et femmes vivent leur vie dans le roman de DesRochers. De simple quidam déambulant dans le monde, chacun devient un complexe et fascinant amalgame qui brouille nos plus profondes convictions. Après la lecture de ce livre, une chose est sûre, nous ne regarderons jamais plus nos voisins de la même manière. Oscillant entre méfiance et empathie, j’opterais quand même pour cette dernière puisqu’elle a plus de chance de réconcilier ce qui nous unit.♦

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Jean-Simon DesRochers
Montréal, Les Herbes rouges
2017, 600 p., 32.95 $