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Bienvenue à Saint-Ennui-des-Bungalows

Bienvenue à Saint-Ennui-des-Bungalows

Nos banlieues, le troisième recueil de Marie-Hélène Sarrasin aux Écrits des Forges, explore le désenchantement banlieusard sans parvenir à dépasser un désespoir de vitrine.

Poésie

Nos banlieues, le troisième recueil de Marie-Hélène Sarrasin aux Écrits des Forges, explore le désenchantement banlieusard sans parvenir à dépasser un désespoir de vitrine.

La banlieue me fascine. C’est le lieu où j’ai grandi, l’endroit où j’ai fini par habiter. Je travaille dans un cégep de banlieue. Je baigne dans la banlieue. C’est cette concomitance qui m’a incité à lire le livre de Sarrasin. La banlieue m’est paradoxale. Son conformisme, hanté par la peur de la différence et l’obsession des apparences, est décourageant. En revanche, elle m’est une espèce de paradis perdu rattaché aux souvenirs d’une enfance privilégiée. Je n’ai pas retrouvé cette ambivalence dans Nos banlieues, qui adopte une posture résolument critique de ce qu’il faut bien appeler un milieu de vie.

L’ouvrage est marqué par la paralysie, la fixité, l’indolence: «l’ennui laboure ses terres»; «le vent s’étire / secoue la torpeur somnifère / géante entre les pylônes». Les poèmes présentent un quotidien empaillé par le confort matériel:

nous invitons nos vies IKEA
au salon
mêmes armoires
mêmes laminés
tracent une symétrie parfaite

L’autrice privilégie des figures d’insistance, comme la répétition, l’énumération et la périphrase, pour montrer la lassitude que sécrète l’emploi du temps régulé et mortifère de la banlieue. La routine est son lot, tandis que «le vide [des] piscines est bien gardé», et que «la nature / discrète / laisse passer / les journées monotones»:

nous planifions chaque geste
chaque gloussement
comme une journée d’école
les activités tapissent nos agendas
calfeutrent les vides

Parce qu’elle domestique la vie en l’enfermant dans un enclos étroitement balisé et planifié, la banlieue est inhabitable, dans la mesure où l’engluement dans le confort nourrit sa réciproque, soit la peur et l’insécurité. Dans ces conditions, la liberté vécue est paradoxale, puisqu’elle résulte d’un refoulement des possibilités menant hors du «dôme cristallin [qui] s’érige / au-dessus du quartier». Une existence dérisoire s’ensuit, ponctuée «de sabotages intérieurs», «de tristesses boudinées» et de «courbettes souveraines» qui meublent les «disparitions à venir».

La banlieusardisation du monde

Nos banlieues égrène les lieux communs de la mythologie banlieusarde: le stationnement, le centre d’achats, la télévision, la piscine, les pylônes. La poète en nomme l’inanité et la banalité sans émouvoir, sans étonner. L’ironie de l’ensemble donne une impression d’indignation fatiguée, impuissante. L’utilisation de pronoms personnels pluriels m’apparaît à cet égard problématique. Leur usage vise à ériger la misère individuelle en problème sociétal. Cette souffrance, c’est nous qui la choisissons en investissant massivement les banlieues. Pourtant, la surenchère de «nous» et de «vous» crée aussi un effet de dépersonnalisation qui m’a tenu à distance. L’écrivaine dilue la force de sa critique en faisant l’économie du particulier. Parce qu’elle adopte un mode d’énonciation collectif, elle se prive d’un point de vue plus incisif, d’un scalpel pour opérer une saillie dans la grisaille où j’aurais pu l’accompagner. Il en résulte parfois une impression de superficialité qui n’échappe pas au cliché:

nous regardons de tous côtés
admirons nos gazons verts
lustrés comme des miroirs
nous reconnaissons nos rêves
tapissés de la même pelouse

Dans le recueil, la banlieue s’abstrait en mythe: aucune ville n’est nommée, aucune rue n’est décrite, aucune communauté n’est convoquée. La désincarnation innerve tous les poèmes et contamine la lecture. Sans ancrage dans un réel identifiable, sans inscription dans un horizon politique, économique ou géographique, il m’a été difficile d’éprouver la vérité de ce qui est évoqué. Peut-être est-ce là justement le but de l’ouvrage: faire sentir que l’indifférence est l’expression d’une dépossession découlant du déracinement culturel, dont la banlieue est un vecteur privilégié.

Cependant, le dispositif n’a pas fonctionné pour moi. Ou plutôt, il a trop bien fonctionné: parler d’ennui a fini par m’ennuyer. En faisant l’économie de la révolte et de l’enracinement, Nos banlieues m’a semblé jouer le jeu de ce qu’il dénonce. Trop fidèle à la doxa banlieusarde, il reconduit l’ordre inchangé du monde, comme une longue file d’attente aux caisses du Costco un samedi après-midi.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Marie-Hélène Sarrasin
Trois-Rivières, Écrits des Forges
2020, 76 p., 15.00 $