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Aux amours emmurées

Appréciez-vous les visionnements de longs métrages d’horreur du vendredi soir ? Vous savez, ces films qui ne révolutionnent pas le genre, mais laissent dans leur sillage le souvenir d’un moment festif.

Littératures de l'imaginaire

Appréciez-vous les visionnements de longs métrages d’horreur du vendredi soir ? Vous savez, ces films qui ne révolutionnent pas le genre, mais laissent dans leur sillage le souvenir d’un moment festif.

Pornovores est le deuxième ouvrage de Frédéric Raymond après Jardin de chair, sympathique roman psychologique d’anthropophagie (eh oui). L’intrigue de cette plus récente parution, qui allie momies et firme de production de films pornographiques, est prenante, décomplexée quant à son approche stéréotypée.

Pierre-Alexandre, informaticien chez Nukleus Computing, est le pivot de l’histoire. Doté d’un charisme naturel, contrairement à son collègue et ami Greg, le jeune homme est célibataire depuis plusieurs mois. L’installation dans son immeuble à bureaux d’Erin Pink, actrice pornographique qui ambitionne de développer ses talents de productrice avec le long métrage Space Boobs, le trouble presque instantanément. Outre qu’il est « fan » de ses films, l’informaticien est conquis par la personnalité de la femme d’affaires. Néanmoins, le local loué par Erin était inoccupé depuis un an, ce qui est insolite, selon les protagonistes, dans une tour commerciale convoitée. Erin et Pierre-Alexandre entendent bientôt « un son incongru, comme une respiration lente mais difficile », à l’intérieur du mur. Des événements sordides se seraient-ils déroulés dans l’édifice ?

En investiguant auprès de Daynise, une serveuse du restaurant de la tour à bureaux, Erin et Pierre-Alexandre apprennent que l’endroit fut le théâtre d’un triangle amoureux dramatique. Le mari cocufié, adepte de taxidermie, s’enfermait dans son atelier des soirs durant, permettant à sa femme et à son associé de se livrer à leur liaison illégitime. Lorsqu’il eut connaissance de l’adultère… — je vous laisse deviner la suite.

Une odeur de mort, de sexe et d’archives

À l’image d’un programme annoncé mais bien calibré, Pornovores enchaîne les scènes auxquelles le lecteur coutumier du genre horrifique s’attend. Il le fait de manière assumée, avec humour et aisance, toujours à distance de l’ennui. De plus, les personnages de Frédéric Raymond, aux dialogues vifs, sont pour la plupart habilement construits. Pierre-Alexandre (nommé une fois sur deux P.-A. dans le texte, ce que j’ai trouvé agaçant) est à l’avenant, de même que la majorité des protagonistes secondaires, dont la serveuse Daynise, des plus convaincantes (elle donne littéralement envie d’aller à l’Immatériel Café pour commander bières et nachos). Et l’écouter nous relater qu’« il va s’en être passé, des affaires pas catholiques, dans ce local-là. Va falloir que je vous raconte ça, un jour, les histoires de couchettes de la femme de Tanguay. Avec le beau François, en plus… » Par contre, les collègues informaticiens de Pierre-Alexandre, sauf Greg, sont falots et paraissent essentiellement prédestinés à finir déchiquetés.

Des impropriétés linguistiques traversent en outre l’ouvrage. Nous avons indéniablement affaire à un écrivain émergent, ce dont témoignent des phrases telles que « réajusta ses fesses sur sa chaise », « une voix douce embauma la pièce », « l’odeur de mort lui lacéra le fond de la gorge ». Finalement, la conclusion est sans doute la scène la moins probante du livre : bon nombre de personnages sont impliqués dans l’action, un peu embrouillée.

Entre les bras des amants réunis

Cependant, le travail de réécriture et le soin de Frédéric Raymond à peaufiner son récit (il est d’ailleurs coéditeur de la Maison des viscères, que je vous invite à découvrir) sont perceptibles de chapitre en chapitre. Ses connaissances en biologie — il est professeur adjoint à l’Université Laval en microbiologie — consolident de surcroît l’ouvrage. Le milieu de la production pornographique est aussi crédible, son intégration dans l’intrigue attestant des recherches auxquelles l’auteur s’est prêté. Je salue le choix du milieu pornographique en tant que cadre romanesque : il est à mon avis trop rarement représenté dans la littérature d’ici.

Même si je préfère les récits plus surprenants et déstructurés, il faut considérer Pornovores pour ses visées intrinsèques : un roman d’horreur érotique qui ne tend pas vers le sérieux. Ce livre m’a rappelé un peu le Chat noir d’Edgar Allan Poe et ses infortunés emmurés mais surtout Les yeux troubles, de Claude Bolduc, ainsi que son œuvre phare, Entre les bras des amants réunis (Vents d’ouest, respectivement en 1998 et en 2010). L’histoire de Frédéric Raymond propose rien de moins que d’assister à des retrouvailles écarlates après « des années de solitude spectrale ». Et pour les fervents de films d’horreur : que ferions-nous sans notre visionnement du vendredi soir ? ♦

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Frédéric Raymond
Sherbrooke, Six brumes
2019, 172 p., 25.00 $