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Autant de fils conducteurs

Pour ce livre consacré à la pratique de la metteuse en scène Brigitte Haentjens, Mélanie Dumont a réalisé douze entretiens avec de proches collaboratrices et collaborateurs de celle qui dirige la compagnie Sibyllines depuis plus de vingt ans avec poigne et finesse.

Théâtre

Pour ce livre consacré à la pratique de la metteuse en scène Brigitte Haentjens, Mélanie Dumont a réalisé douze entretiens avec de proches collaboratrices et collaborateurs de celle qui dirige la compagnie Sibyllines depuis plus de vingt ans avec poigne et finesse.

Dans cet ouvrage publié aux Éditions du passage, onzième titre de la collection « Autour de l’art », on trouve d’abord quatorze portraits signés par le photographe, maquilleur et coiffeur Angelo Barsetti. Les reproductions, en couleur et pleine page, portent la griffe singulière de l’artiste à qui l’on doit la plupart des affiches des spectacles de Brigitte Haentjens depuis 2001. Sur ces pages glacées apparaissent les visages des personnes interrogées, en plus de l’autrice, Mélanie Dumont, et bien entendu de la principale intéressée, la femme de théâtre dont on célèbre ici le talent et la rigueur, l’inventivité et la méthode, en somme l’art et la manière.

L’art du portrait

Interlocutrice privilégiée de Brigitte Haentjens depuis 2008 — elle a pris part au processus de création de plusieurs spectacles —, Mélanie Dumont est aussi responsable de la programmation du volet Enfance/jeunesse du Théâtre français du Centre national des Arts, à Ottawa. Dans la préface de Ce qui se trame : 12 entretiens autour du théâtre de Brigitte Haentjens, la metteuse en scène explique que les portraits ont été « peaufinés » par Dumont, avant de préciser, à juste titre, que le travail a été réalisé « avec la curiosité, la passion et la rigueur qui la caractérise ».

Plutôt que de disparaître au profit de l’autre, plutôt que de prétendre à une objectivité absolue, par exemple en se limitant à citer les gens qu’elle a rencontrés, l’autrice a choisi de restituer sa perception, de poser des mots sur ce qu’elle a vu et ressenti, sur ce qu’elle a constaté et deviné, en somme de consigner les propos aussi certainement que les non-dits. « J’ai tissé ma voix à celle de mon interlocuteur au fil de l’écriture », explique-t-elle avant de préciser ses motivations : « J’ai ainsi cherché à rendre l’empreinte splendide et tenace gardée au contact de ces artistes vibrants, généreux. » En évoquant le lieu de la conversation, l’éclairage et les objets, en décrivant les gestes et les expressions, en recréant l’ambiance, mais également en offrant son point de vue, en ajoutant ses lumières, Dumont donne naissance à des portraits convaincants, des instantanés qui transcendent la banale entrevue, nous informent sur l’essence des artistes aussi bien que sur la riche relation qui les unit à Haentjens.

Les douze portraits, de plus ou moins sept pages chacun, s’appuient sur un aspect fondamental de la pratique théâtrale, un apport sur lequel on s’attarde assez rarement et que Haentjens formule adroitement, toujours dans la préface : « La vision d’un metteur en scène se modifie, s’infléchit et s’adapte au contact des différents partenaires de création. » La mise au monde d’un spectacle comme « prétexte à des rencontres exceptionnelles », « qui s’établissent tout de suite dans le vif, dans le cœur du sujet », voilà précisément ce à quoi l’ouvrage rend justice, cet « entrechoquement » que la directrice de la compagnie Sibyllines espère chaque fois « flamboyant, brûlant, définitif », autrement dit à ce qui se tisse en salle de répétition, à ces fils conducteurs qui s’unissent et s’entrelacent afin de constituer cette trame qu’est la représentation.

La meute Sibyllines

Brigitte Haentjens n’hésite pas à employer le terme « meute » pour parler de celles et ceux qui contribuent régulièrement à l’élaboration des spectacles de Sibyllines. Elle précise : « À défaut de troupe, on peut constituer une famille ouverte, qui se renouvelle et régénère constamment le langage artistique. » Alors que Marc Béland atteint en collaborant avec la metteuse en scène des parties de lui qui sont « plus grandes que nature ou plus authentiques », Francis Ducharme se sent « tellement protégé » qu’il a « le goût de mettre encore plus de bûches, que ça brûle ». La scénographe Anick La Bissonnière explique que « l’espace n’est pas un contenant pour Brigitte, c’est ce qui porte son travail ». Le compositeur Bernard Falaise apprécie la retenue que préconise Haentjens, « un travail tout en subtilités », où « on n’accentue pas le pathos ». Alors que Sébastien Ricard déclare que c’est grâce à la metteuse en scène qu’il est « parvenu à [s]e déployer comme acteur », Sylvie Drapeau perçoit entre elle et Haentjens « un rythme similaire », quelque chose de mystérieux qui tient de la reconnaissance.

Bien entendu, on n’échappe pas totalement à quelques lieux communs, à deux ou trois formules toutes faites, à quelques passages un brin élégiaques, voire ésotériques. Cela dit, tout en répondant à une mission, celle de célébrer une créatrice et sa vision, celle de rendre hommage, l’ouvrage arrive à la transcender. D’abord parce que le style est riche et souple, que les références sont nombreuses et les souvenirs conviés avec vivacité, mais aussi parce que les portraits sont contrastés, qu’ils traduisent franchement la personnalité des artistes, leur manière bien particulière d’exprimer les idées et les émotions, rendant compte ainsi de leur apport inestimable au rayonnement de la compagnie et de sa directrice au cours des deux dernières décennies. ♦

Auteur·e·s
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Mélanie Dumont
Montréal, du passage
Autour de l'art
2019, 160 p., 24.95 $