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Arrêt sur image

Véritable livre-objet, Je ferai battre le cœur des pommes, de l’artiste multidisciplinaire Marc-André Foisy, est un lieu où l’acte de lecture trouve une respiration, tend l’oreille et écoute ce qu’une image et un mot peuvent se dire en secret.

Poésie

Véritable livre-objet, Je ferai battre le cœur des pommes, de l’artiste multidisciplinaire Marc-André Foisy, est un lieu où l’acte de lecture trouve une respiration, tend l’oreille et écoute ce qu’une image et un mot peuvent se dire en secret.

Une écriture simple et sans détour se superpose tranquillement à des photographies, pour la plupart en noir et blanc. Deux trames poétiques se côtoient, deux récits se tissent: l’un mû par le texte; l’autre, par l’image. C’est entre les deux que se fond le propos du recueil de Marc-André Foisy; la contemplation du rien, le temps qu’il faut prendre pour renverser l’observable: «ici / les coups d’épée dans l’eau / quand même font des petites vagues». En ce sens, Je ferai battre le cœur des pommes offre autant de lectures que l’œil est capable d’en décoder; le livre nous oblige à tourner lentement ses pages pour saisir toute la lumière à capter dans la lourdeur du quotidien.

Lire

Vers par vers, un poème se développe sur plusieurs pages, progresse au rythme des images, qui défilent les unes après les autres. Réduits à leur plus simple expression, les mots, calligraphiés à la main, véhiculent une poétique du rien, du dépouillement, de l’absence. Les images qu’ils contournent, celles qu’ils n’évoquent que dans les espaces laissées entre eux, mènent vers une intéressante piste de lecture:

sur la neige ma casquette
et la taille de ma tête
je laisse mes mitaines
dans la boîte aux lettres
si j’avais pu
j’aurais laissé mes mains avec

En effet, lire Je ferai battre le cœur des pommes, c’est s’imposer une certaine quiétude; prendre le temps de saisir du regard chaque vers et chaque photographie pour les compléter, les amalgamer et les unir. D’ailleurs, le recueil s’ouvre sur ces mots: «Je m’arrête ici / la vie éparpillée / maintenant s’étend». Ils sont le gage d’un hors temps et d’un hors lieu poétiques prêts à accueillir toute rêverie, toute flânerie. La vigueur, la justesse et l’univocité des images que déploie Foisy permettent à l’acte interprétatif de se concentrer sur les associations entre les poèmes et les photos. L’écriture, discrète, s’enracine humblement dans «l’être-là» des choses et évite le dépouillement superflu et les excès de style.

En occupant l’entièreté des pages sur lesquelles s’inscrivent les poèmes, les photographies sont, en quelque sorte, des mises en scène que les mots achèvent. La plupart du temps troubles et vaporeuses, ces images semblent capter ce qui, dans le poème, reste indicible: une impression, une mélancolie, une inquiétude.

être en vacances
embrasser la nuque
dire le nom au complet
ce que ça fait la musique
couper ses cheveux
se faire prendre par la pluie
tenir une main
être dimanche

Regarder

Il n’existe pas de parallèles manifestes entre l’écriture et les images disséminées dans l’ouvrage: les liens qui les unissent ne sont ni explicites ni figuratifs. Ainsi, la coexistence de deux disciplines suffit à faire émerger un troisième texte composite, que la lecture tisse petit à petit dans son langage unique. À cheval entre deux mondes, cette nature hasardeuse de la relation iconotextuelle, c’est-à-dire l’ensemble des rapports qui lient le texte à l’image au sein d’une œuvre, nous conduit à déceler un sens là où il n’y en a peut-être pas, ou, inversement, à accepter la coïncidence et l’insignifiance: «j’oublie souvent que j’ai un corps / qu’il se nomme et qu’on m’appelle / Marc-André». Dans les deux cas, le jeu caché de Je ferai battre le cœur des pommes est ici: la lecture ne prend jamais fin; rouvrir le recueil, c’est le découvrir à nouveau.

D’une indéniable accessibilité, l’œuvre de Marc-André Foisy reproduit, dans une certaine mesure et dans un autre contexte, la démarche artistique et littéraire investie dans son compte Instagram: «la triste limite du corps: / on se tient la main / mais pas le cœur.» Au-delà du caractère sérieux, peut-être illusoire, qui vient inévitablement avec le livre imprimé, Je ferai battre le cœur des pommes se distingue nettement du projet entamé par l’auteur sur les réseaux sociaux, notamment par la qualité de la poésie, laquelle n’est pas destinée à une consommation rapide sur un écran de cellulaire. D’une simplicité travaillée, d’une rigueur compositionnelle certaine et d’une puérilité comique, l’écriture, mêlée aux images, procure un réel plaisir de lecture, comparable à l’expérience d’un roman graphique.

Auteur·e·s
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Marc-André Foisy
Montréal, Le Noroît
Omri
2022, 144 p., 32.95 $