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Sofia Forlini

15 juin 2022 |
Critique
Sofia Forlini
Élevée par sa mère

L’édition 2022 du Prix littéraire des collégiens marque le début d’un partenariat avec LQ. Mélikah Abdelmoumen, Nicholas Giguère ainsi qu’une professeure de cégep se sont consultés pour choisir les cinq meilleures critiques écrites par les collégien.nes pour les titres en lice.

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Élevée par sa mère

L’édition 2022 du Prix littéraire des collégiens marque le début d’un partenariat avec LQ. Mélikah Abdelmoumen, Nicholas Giguère ainsi qu’une professeure de cégep se sont consultés pour choisir les cinq meilleures critiques écrites par les collégien.nes pour les titres en lice.

Élevée par sa mère

Sofia Forlini | Collège Jean-de-Brébeuf

Là où je me terre, Caroline Dawson, Remue-Ménage, 2021

 

 

Il y a des romans à la prose richement travaillée et d’autres qui se démarquent par leur simplicité.

Il y a des romans aux digressions savoureuses et d’autres, linéaires, qui racontent une histoire de A à Z en passant par chacune des lettres de l’alphabet.

Il y a des romans qui sont des histoires d’amour et d’autres qui sont des cris de révolte.

Et puis il y a Là où je me terre, qui est tout cela à la fois.

Dans son premier roman, qu’on pourrait croire tiré de l’œuvre tardive d’une écrivaine aguerrie, Caroline Dawson décortique de façon extrêmement concise – 208 pages de courts chapitres remplis de formules-chocset de chutes efficaces – toute la complexité d’exister en tant que femme immigrante dans la société québécoise. En plus de présenter les défis de l’adaptation à une nouvelle culture, à une nouvelle langue et à un nouveau pays, la sociologue exprime de manière particulièrement éloquente les enjeux reliés au féminisme et à la formation de l’identité.

Dawson livre en effet un vibrant hommage aux femmes de sa famille : sa grand-mère, qui « n’a jamais lutté pour rien, si ce n’est que pour sa survie », mais surtout sa mère, source d’émotions magnifiquement contradictoires chez le personnage principal, dont les sacrifices sont maintes fois salués : « Je ne me rendais pas compte que c'était justement parce qu'elle m'avait élevée que je pouvais maintenant la regarder de haut. » Son regard de sociologue lui permet de relater avec juste ce qu’il faut de distance et de tendresse les émotions contraires liées à son parcours identitaire, donnant ainsi à son roman une portée universelle. La honte, le rejet de soi-même et de ses origines (famille, culture ou milieu socio-économique) afin d’appartenir à un groupe ainsi que l’impression de dépossession de soi qui s’ensuit sont en effet des éléments fondamentaux de la nature humaine, si individualiste et grégaire à la fois. 

En présentant de manière sensible les points de vue d’une petite fille, d’une adolescente, d’une cégépienne et enfin d’une universitaire, en plus d’incorporer judicieusement des référents tirés de la culture québécoise, Dawson parvient à toucher de manière durable un lectorat diversifié ayant une seule chose en commun : l’appartenance à la race humaine.

Parce que, humain, ce livre l’est profondément.

Certains ont dit de Gabrielle Roy qu’elle était la dernière grande conteuse canadienne.

Caroline Dawson semble vouloir lui ravir ce titre. Et elle le mériterait amplement.

 

Là où je me terre, Caroline Dawson, Remue-ménage, 2021

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