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Le limerick pour les nuls

28 mai 2020 |
Poésie
Le limerick pour les nuls

Pour inaugurer sa collection « Brève », L’Instant même mise sur deux livres, dont celui du poète, romancier et essayiste Guy Ménard, Les larmes de Godzilla, consacré au limerick, genre auquel seront désormais introduits plusieurs lecteurs francophones.

Thématique·s
Guy Ménard
Longueuil, L’Instant même
« Brève »
2020, 168 p., 17.95 $

Pour inaugurer sa collection « Brève », L’Instant même mise sur deux livres, dont celui du poète, romancier et essayiste Guy Ménard, Les larmes de Godzilla, consacré au limerick, genre auquel seront désormais introduits plusieurs lecteurs francophones.

Le limerick est un poème humoristique à forme fixe, d’origine anglo-saxonne, datant de la fin du XVIIe siècle. Grivois, irrévérencieux, impudents, ces « petits poèmes sans dessus ni dessous » sentent la bière et le soufre. L’auteur, spécialiste, entre autres, des questions relatives à la représentation de la sexualité dans les religions, y trouve un terrain de jeu qu’il souhaite partager avec son public.

Jamais je n’avais entendu parler du limerick avant d’ouvrir le livre de Ménard. J’ai pu me familiariser avec ce type de poésie grâce à l’introduction amusante que lui consacre le professeur honoraire de l’UQAM dans les vingt premières pages.

Outre l’essentiel déjà mentionné, ajoutons que ces courts textes sont composés de cinq vers d’égale longueur, dont la séquence des rimes est A-A-B-B-A. La rigidité prosodique du limerick est en parfaite opposition avec sa grande liberté thématique, tout à fait contraire à la poetical correctness. Ça donne des choses comme suit :

plus laid qu’un pou, Quasimodo,
de la bohémienne est dingo ;
en haut des tours de Notre-Dame,
il se branle, tout feu tout flamme,
en maudissant Victor Hugo

Le fin mot de l’affaire? Le comique, oui, mais surtout, le plaisir, comme l’écrit Ménard : « si on ne joue pas avec les mots, alors, trop souvent, on s’en sert pour humilier, tromper, féïqueniouser, blesser, humilier, voire faire mourir les humains – ne serait-ce que d’ennui ».

Lilibeth, le pape et Godzilla

Voilà pour les principes ; regardons maintenant l’ouvrage. Les larmes de Godzilla est gros de trois cent soixante-neuf limericks, entassés sur cent pages, organisés en onze sections. Il y a, entre autres, les « Éditorieux » politiques, les vers portant sur Élisabeth ii, une partie consacrée aux chats et une autre… à Godzilla. Commentant dans son introduction la diversité de ses inspirations, l’auteur a beau avouer, non sans humour, sa tendance au ramassage, force est d’admettre que ce capharnaüm passe à certains moments bien près de lasser. En fait, les prolégomènes mettent en évidence le caractère sériel de l’écriture, tendue par sa mécanique prosodique. Les poèmes ne parviennent pas toujours à dépasser le jeu formel. Deux sections sont même remplies de textes débutant par un vers identique (ce dont l’auteur se défend, il faut bien le mentionner, en parlant de running gag) :

notre Saint-Père le pape
un jour tomba dans les vapes ;    
il avait escaladé
la paroi d’un haut clocher
en faisant de la varappe

Parfois, au cours de ma lecture, je me suis senti dans un marché aux puces à la recherche de la perle rare, du sourire qu’on m’avait suggéré d’entrée de jeu. C’est là aussi que j’ai le plus ressenti ma distance avec le poète, avec sa grande culture dont l’érudition nourrit plusieurs limericks. Un glossaire tout à fait divertissant à la fin du livre permet de dissiper l’hermétisme de certaines références, mais les renvois fréquents brisent le rythme de la lecture. Le risque de l’humour est là : sur le partage de référents qui, faute d’être maîtrisés à la fois par l’auteur et le lecteur, suscitent la frustration plutôt que l’hilarité. Au moins, je me suis couché moins niaiseux en apprenant, par exemple, que Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch est un village du pays de Galles.

D’une génération à l’autre

Ceci dit, je pardonne beaucoup, beaucoup de choses à Ménard, notamment son moralisme un peu boomer sur les questions queer, son irrévérence anticléricale qui sent les Lumières, le recours à la culture pop un tantinet plaqué, lorsqu’il me ravit avec des limericks aussi admirables que celui-ci :

Hagrid était venu incognito
à Rosemont, sur sa vieille moto,
pour assister aux funérailles
d’un vieil ami de grande taille
dans tout Montréal, le Grand Antonio

Le meilleur des Larmes de Godzilla réside à mon sens dans sa jonction du passé et du présent, des cultures et des époques. Une grande liberté se dégage du recueil. L’auteur n’a semble-t-il plus rien à prouver et il se fait plaisir. Je l’ai senti sans affectation, honnête, entier ; je n’ai pas pu m’empêcher d’être touché par la bonne humeur de l’ensemble. En tant que défense et illustration du limerick, Les larmes de Godzilla me paraît accomplir sa mission. Mais c’est à titre d’invitation au carpe diem que le livre du prof Keating – je veux dire Ménard ! – réussit tout particulièrement.

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