Aller au contenu principal

Une sortie bon enfant qui vire è la catastrophe

Une sortie bon enfant qui vire è la catastrophe

La première bande dessinée de Geneviève Bigué nous emmène au cœur de la forêt, en compagnie de quatre adolescent·es – le tout sur fond de fantastique.

Bande dessinée

La première bande dessinée de Geneviève Bigué nous emmène au cœur de la forêt, en compagnie de quatre adolescent·es – le tout sur fond de fantastique.

À Rivière-aux-Corbeaux, le lac Kijikone brûle. Len, Élé, Sim et Théo, quatre jeunes en mal d’aventures, veulent vérifier si la légende locale dit vrai: tout objet lancé dans le feu se transforme en or. Un pari innocent les convainc de traverser la forêt pour rejoindre le lac enflammé, mais le groupe se sépare lorsque Len sort de son sac un lapin vivant.

Illustratrice et graphiste originaire d’Abitibi-Témiscamingue, Geneviève Bigué a réalisé Parfois les lacs brûlent, sa première bande dessinée, dans le cadre d’une résidence d’autrice à Front Froid. On a pu apprécier son style graphique dans deux romans jeunesse – Quincaillerie Miville (2022), d’Alexandre Côté-Fournier, et Un bruit dans les murs (2020), de Julie Champagne – publiés à La courte échelle.

La bande des quatre

Dès les premières pages, on entre dans la dynamique du groupe. Il y a Len, perçu comme le protagoniste de l’histoire: un jeune garçon complexé par son français bancal, vivant avec sa mère anglophone dans un milieu défavorisé, et ayant un grand besoin de reconnaissance; Élé, la seule fille, studieuse et moins casse-cou que ses compères masculins (ne serait-ce pas un peu cliché?); Sim, le petit baveux de la gang; puis Théo, leader dans l’âme, toujours à la recherche de sensations fortes.

Ce dernier, très enthousiaste, tente d’entraîner tout le monde dans cette excursion. Il finit par convaincre Sim en lui promettant de faire ses devoirs pendant un mois et de lui donner un sac de bonbons si la légende est confirmée. Motivé·es par des rêves dorés et par l’excitation du danger, ils et elles décident de s’y rendre en autobus, après l’école.

Un récit initiatique classique

Cette bande dessinée, que l’on pourrait aisément classer dans la catégorie jeunesse, présente un bon nombre de caractéristiques du récit initiatique: la quête des personnages vers l’inconnu, les affrontements, l’objet symbolique représentant la transformation – dont nous garderons le secret ici – et la chute, une catastrophe qui marque la fin de l’innocence. Tout s’articule autour de l’effet de groupe, si emblématique de la vie des adolescent·es, qui vivent ensemble une histoire hors du commun et se créent des souvenirs. Les photos sur les cellulaires des quatre ami·es ancrent l’œuvre dans l’ère numérique et permettent de retracer leur périple.

Bigué a le don de nous tenir en haleine, et l’on peut très bien l’imaginer poursuivre sa démarche d’autrice dans l’univers des séries. En ce sens, son travail, par ses thématiques, se rapproche de celui d’Axelle Lenoir et de sa série L’esprit du camp (également publiée à Front Froid), mais Parfois les lacs brûlent est sans aucun doute plus sombre: on pressent une catastrophe, sans vraiment savoir sous quelle forme elle se manifestera.

Des images parlantes

Imaginer des flammes qui s’élèvent à plusieurs mètres de hauteur et dansent sur l’eau semble surréaliste; pourtant, ce phénomène assez rare, causé par la combustion de méthane (une mousse toxique), est représenté par les traits de l’autrice de manière à la fois réaliste et poétique. Une double page puissante montre le lac en feu: des flammes courent sur le papier, saturé par un jaune orangé vibrant.

Bigué utilise une palette de couleurs automnales: des volutes de brume blanche en bordure du chemin, un ciel gris, et toujours, cette pâleur sur les visages des personnages qui nous glace et nous enveloppe, comme si les sons de la forêt étaient étouffés dans du coton. Parfois les lacs brûlent regorge de pleines pages impressionnantes, dont celles où l’on voit Théo et Len face au lac, la bouche grande ouverte. La stupeur sur leur figure nous trouble: nous avons hâte de découvrir ce qu’ils contemplent.

Les représentations en mouvement sont très présentes, que ce soit les flammes dansantes, les paysages en évolution dans la forêt ou les déplacements des personnages. La bédéiste use de gros plans sur des pieds qui se suivent et avancent vers une vie d’adulte, alors que la fumée voile le regard des jeunes. Ces plans sont aussi utilisés comme marqueurs sociaux: les chaussures éculées de Len, son pantalon trop court, puis la case qui s’ouvre sur un quartier modeste nous en apprennent davantage sur ce garçon.

Pour sa première incursion dans le monde de la bande dessinée, Geneviève Bigué frappe fort! Une artiste à suivre, sans aucun doute.

Auteur·e·s
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
Geneviève Bigué
Montréal, Front Froid
2022, 192 p., 35.00 $