Aller au contenu principal

Une histoire de liberté

Un livre incontournable pour une fondation qui l’est tout autant.

Thématique·s
Beau livre

Un livre incontournable pour une fondation qui l’est tout autant.

Thématique·s

Colossal est le premier mot qui, chez la personne observant ce pavé, fend l’esprit et l’occupe définitivement. Tout de rouge vêtu — la couverture toilée, les tranches et pages de garde —, l’objet impressionne par son format et ses quelque trois cents pages faites d’un papier épais, qui s’imposent sans conteste à notre regard. L’incontournable institution DHC/ART souligne majestueusement ses dix ans d’existence en publiant Libre, un livre somme qui rassemble tous les artistes exposés dans ses murs depuis sa création par la mécène Phoebe Greenberg. Cette dernière, accompagnée par son équipe, poursuit l’investigation sur le «type d’art susceptible de trouver un écho dans la communauté, afin d’instaurer un dialogue entre la ville et les stratégies et propositions artistiques de par le vaste monde».

Entrecoupé de plusieurs textes et entretiens fort pertinents, le livre explore dans un premier temps l’«antre», de la fondation, dont l’ethnographe canadienne Sarah Thornton fait le court portrait, dans un style journalistique, de chacun de ses intervenants. Ironique, le texte de Jan Verwoert s’interroge sur l’intérêt de la séduction en art, oscillant entre petite farce pour initiés et métaphore acide. L’un des mandats de l’institution est mis en lumière par une intéressante discussion avec les membres de DHC/ART Éducation autour des caractéristiques de leur approche pédagogique et la «relation entre leur méthodologie et leur travail de médiation dans les salles d’exposition». Pour conclure l’ouvrage, l’équipe passe en revue les changements qui se sont produits au fil des dix dernières années dans le champ artistique et réfléchit à ce que cela signifie pour les temps à venir.

Liberté grande

Comme la fondation qu’il célèbre dans ses pages, l’ouvrage présente un contenu rigoureux accompagné de vues d’installations et de documents photographiques exceptionnels. La photographie d’exposition s’avère parfois stérile, n’ayant d’autre intérêt que celui de remplir le département des archives, mais ici, dans cet ouvrage, l’œil est souvent ravi. Les prises de vue sont conçues de telle façon qu’elles parviennent, en deux ou trois clichés, à d’abord indiquer clairement l’organisation spatiale de l’œuvre dans la salle d’exposition, mais aussi à y faire percevoir l’ambiance et la force de l’œuvre. Les partis pris esthétiques du photographe nous font presque toucher sa plasticité, tout en transmettant l’émotion ou le concept qui s’en dégage. C’est le cas de la majorité des photos produites (créées serais-je tenté d’écrire) par Richard Max Tremblay, où un dialogue d’artiste à artiste est clairement palpable. Ce choix fait se démarquer ce livre qui, comme l’indique Jon Knowles, «s’apparenterait davantage à une capsule témoin qu’à un simple recueil centré sur les activités de DHC/ART».

Les textes qui présentent chacun des artistes exposés ne dépassent jamais une page; leur concision, leur précision chirurgicale nous font entrer rapidement dans son univers, connaître ses préoccupations et sa démarche, tout en alimentant notre désir d’en savoir davantage, de poursuivre notre exploration. Véritable compendium de l’art contemporain mondial, l’ouvrage demeure accessible et agit comme une porte d’entrée exemplaire pour parfaire les connaissances et le regard d’un lecteur peu habitué à cette production plus actuelle. Il répond également à un public plus motivé qui se poserait des questions sur la pérennité de l’image expositionnelle, qui voudrait aussi réfléchir aux façons dont on regarde et documente les expositions, et comment internet se reconnaît désormais comme un nouvel espace pour contempler, observer et vivre l’œuvre d’art. En ce sens, le dernier entretien signé par des artistes, commissaires, un stratégiste numérique et un rédacteur est exemplaire et captivant. Malgré le fait, comme le souligne Richard Max Temblay, que le public «exige l’instantanéité et des réponses rapides, et une compréhension approfondie de l’œuvre», ce livre selon moi répond à cet urgent besoin de comprendre.

Le moyen de ses ambitions

Parce que DHC/ART s’est donné les moyens (humainement et financièrement, évidemment), parce que sa mission pédagogique et éducative qui, sans faire l’objet d’une surenchère, transparaît à travers les pages en démontre la nécessité, la publication, ce «catalogue» si l’on veut, par sa rigueur, se transforme en livre véritable. Comme tous les livres qui doivent s’écrire et exister, il est mû par un grand désir de liberté, de rendre libre. Je réitère l’idée de John Knowles qu’il ne s’agit pas ici d’un catalogue disposal, d’une énième relique de papier que l’on garde malgré tout, mais dans une boîte de carton rangée au grenier. C’est un livre destiné à s’ancrer dans l’histoire, qui présente, avec beaucoup de sollicitude envers son lecteur, «un lieu qui favorise l’engagement, la stimulation, l’émancipation et la familiarité avec l’art». ♦

Auteur·e·s
Individu
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
DHC/ART
Montréal / Munich, Phi Foundationn for Contemporary Art / Hirmer Verlag
2018, 300 p., 65.00 $