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Une brigade de filles

Marjolaine Beauchamp donne un texte de théâtre porté par un souffle unique, en un hymne rageur et néanmoins tendre à la maternité, à la féminité, à la sexualité.

Théâtre

Marjolaine Beauchamp donne un texte de théâtre porté par un souffle unique, en un hymne rageur et néanmoins tendre à la maternité, à la féminité, à la sexualité.

Slameuse, poète, femme de scène, Marjolaine Beauchamp flirte de plus en plus avec le théâtre, prenant certainement plaisir à nier les limites, défier les étiquettes, marier les genres et récuser les frontières. Après deux recueils de poésie célébrés, Aux plexus et Fourrer le feu, tous deux parus aux Éditions de l’Écrou, et une première pièce, Taram, toujours inédite, l’auteure originaire de Buckingham en Outaouais voit M.I.L.F., sa deuxième pièce, publiée aux éditions Somme toute. Mise en scène en 2017 par Pierre Antoine Lafon Simard, directeur artistique du Theatre du Trillium, à Ottawa, la pièce trace le portrait de trois femmes, trois mères, trois sexualités: «Trois voix qui s’entrecroisent: une M.I.L.F. (mother I’d like to fuck), une M.I.L.S. (mother I’d like to save) et une M.I.L.K. (mother I’d like to kill).»

Féminisme galvanisant

D’entrée de jeu, c’est la langue qui impressionne. Sa liberté, d’abord, cette manière souveraine, totalement irrévérencieuse que l’auteure a de télescoper les registres et les tons, le bruit et le silence, le français et l’anglais, le littéraire et l’oral, le sublime et le grotesque, les compliments et les insultes, la beauté et la vulgarité. Ce style unique, soutenu par un féminisme galvanisant, doté d’une force de frappe qui n’est pas sans évoquer celle des personnages d’Annick Lefebvre, tout en présentant une filiation indéniable avec les fées assoiffées de Denise Boucher, ne risque évidemment pas de faire l’unanimité. Mais vous aurez compris que l’auteure ne prend pas la plume, ne foule pas les planches dans l’objectif de plaire au plus grand nombre. La volonté de Beauchamp serait plutôt de nommer une réalité intime aux résonnances éminemment collectives, par la poésie, d’en épouser toute la complexité.

Ainsi, en entrelaçant trois voix puissantes, une irrésistible «brigade de filles», portées par la colère aussi bien que par l’amour et le désir, l’auteure entreprend en quelque sorte une cartographie du vaste rôle de mère au XXIe siècle, dessine sans l’ombre d’un tabou les contours d’une fonction qui est en même temps une charge, une mission, une responsabilité, une vocation, une condamnation et une bénédiction, en somme un tour de force.

On s’fait une brigade de filles trop folles pour etre voulues, trop fulgurantes pour etre toutes seules, que tout l’monde aime a un bras de distance. Qui font des festins avec trois ingredients, qui dorment six heures, et qui charrient des canots. Qui parlent un ton trop haut, un peu trop mal. Des filles de promesses tenues, crissement pas fiables mais si loyales. Des filles qui partent des feux en pleine pluie, des filles les cheveux lousses, ultraviolettes, autodidactes et irreverencieuses. On s’fait ca maintenant. On se r’posera plus tard.
 

Tout cela à la fois

Tout comme Nino, le texte de Rébecca Déraspe publié chez le même éditeur en mars 2017, la pièce de Marjolaine Beauchamp aborde les défis qui se posent à la femme souhaitant conjuguer la maternité avec la vie amoureuse, la vie sexuelle, la vie professionnelle, la vie familiale et la vie sociale. Il est question d’une multitude de sujets, des plus graves aux plus triviaux. On parle de solitude, de masturbation, de colère, de fatigue, de caca et de dépression, de divorce et de garde partagée, du fameux «trou de deux ans» dans le CV, de poids, des impératifs et du pouvoir qui appelle souvent l’abus, mais également du rapport aux femmes, la mère, la grand-mère, et puis l’amante.

Le passage sur les «joies» de Tinder est tout simplement cathartique: «J’ai deux kids, c’est ca ma vie, mais on met pas ca tu suite dans une description de site de rencontre han? Tu m’trouves-tu malhonnete? Moi j’te trouve malhonnete parce que tu dis sur ton esti de profil que le corps d’une femme c’t’un temple. Un temple de quoi han? Si t’es pas capable de toffer qu’un temple y a du monde en esti qui rentre dedans, du monde, des bebes pis des fuckall comme toi qui s’attendent a voir des femmes intactes. Chus pas intacte, crisse d’homme moderne a marde…» Pas de doute, les mots crus de Marjolaine Beauchamp ont un pouvoir immense, celui de libérer. ♦

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Marjolaine Beauchamp
Montréal, Somme toute
Répliques
2018, 80 p., 12.95 $