Aller au contenu principal

Un nouvel éclairage sur le suffrage féminin au Québec

Un nouvel éclairage sur le suffrage féminin au Québec

Tandis que le féminisme et les luttes des femmes en général pour l’égalité sont devenus des thèmes phares des récentes études historiques, la question du suffrage féminin au Québec a quant à elle été relativement laissée de côté. Et si on se penchait sur cette histoire, trop souvent vue sous l’angle de la résistance de l’Église, avec de toutes nouvelles perspectives ?

Essai

Tandis que le féminisme et les luttes des femmes en général pour l’égalité sont devenus des thèmes phares des récentes études historiques, la question du suffrage féminin au Québec a quant à elle été relativement laissée de côté. Et si on se penchait sur cette histoire, trop souvent vue sous l’angle de la résistance de l’Église, avec de toutes nouvelles perspectives ?

L’historienne Denyse Baillargeon n’a plus à faire ses preuves dans le domaine de la recherche détaillée, pour ne pas dire raffinée, sur l’histoire des femmes au Québec. Pouvait-elle nous revenir avec une étude novatrice sur le même sujet ? Son nouvel opus Repenser la nation : l’histoire du suffrage féminin au Québec, nous démontre ses capacités à fouiller les archives et à relire des ouvrages majeurs de l’historiographie féministe, dans le but de nous livrer une histoire étonnamment peu traitée, qui est celle du contexte alambiqué des luttes pour le suffrage féminin au Québec. Confrontées à la fois à une vision très conservatrice de la femme de la part des représentants de l’Église catholique, mais aussi à des hommes politiques qui craignaient qu’elles ne viennent bousculer l’ordre sociopolitique, les femmes québécoises ont eu à trouver diverses solutions pour démontrer leur légitimité dans la sphère politique, qui passait à priori par l’obtention sans condition du droit de vote. Avec ce nouvel essai, Denyse Baillargeon tente de dépasser ce cadre théorique de base, en nous plongeant dans le contexte socioéconomique des Québécoises à partir de la fin du xviiiesiècle — incluant pour une rare fois les femmes autochtones —, qui nous sert de boussole pour mieux comprendre les embûches que les militantes ont dû affronter.

L’autrice explique dès le départ la complexité de sa démarche, précisant que la question très pointue du suffrage féminin, bien qu’abordée dans moult articles scientifiques et chapitres de livres d’histoire, n’a jamais véritablement fait l’objet d’une synthèse, à l’exception de la thèse de doctorat sur le suffrage féminin au Canada d’une spécialiste américaine du nom de Catherine Lyle Cleverdon, dans les années 1940. Ce manque d’études riches et détaillées sur la lutte pour le droit de vote au Québec explique en partie pourquoi bien des gens ignorent que les femmes propriétaires ont pu se prévaloir de ce droit à partir de l’Acte constitutionnel de 1791.

Pourtant, les Québécoises sont les pionnières du droit de vote au Canada, puisque, durant la première moitié du xixesiècle, celles qui remplissent les conditions de propriété requises peuvent voter. Expliquer ce parcours particulier des Québécoises, qui fait que de précurseures en matière de suffrage elles se retrouvent ensuite en queue de peloton, constitue l’objet central de ce livre.

Pour y parvenir, l’historienne a dû s’intéresser au thème plus large des luttes des femmes pour l’égalité dans la société québécoise et canadienne, mais aussi au sujet du militantisme féminin sous un éclairage plus intime, et enfin à la question des tensions et différences de perceptions qui l’ont caractérisé. Ce livre n’est donc en rien une révision, mais bien une nouvelle approche intellectuelle dans ce domaine.

Avant les rébellions des Patriotes

Cet essai suit un plan chronologique essentiel à la compréhension de l’évolution de la situation des femmes du point de vue politique et social, mais il est à noter que les chapitres sont également divisés en thématiques associées au découpage périodique. Nous commençons de ce fait notre périple par « Les pionnières du suffrage », qui nous permet de mieux comprendre dans quelles circonstances légales certaines femmes du Québec ont pu exercer un droit de vote jusqu’aux révolutions des Patriotes.

La possibilité de se marier en séparation de biens en signant un contrat de mariage devant notaire avant la noce, une disposition qui n’existe pas dans le droit anglais, permet aussi à un certain nombre de femmes mariées d’être propriétaires en titre, et donc de voter, tout comme le statut de marchande publique, qui autorise celles qui en bénéficient à gérer leurs affaires commerciales de manière indépendante.

Si Denyse Baillargeon avait esquissé ces droits dans son précédent ouvrage intitulé Brève histoire des femmes au Québec (Boréal, 2012), elle ose ici détailler davantage les conditions sociales, économiques, politiques et même régionales qui ont favorisé le droit de vote de 1791 à1849. L’historienne a notamment épluché les cahiers de scrutin de cette époque, qui lui ont permis de dresser un certain portrait de ces femmes restées anonymes dans notre histoire. Cet important chapitre se termine par un coup de masse contre les femmes : les revendications des Patriotes contre l’action politique féminine, qui ont commencé lors de l’élection partielle de 1832 dans Montréal-Ouest. Nous voyons ainsi pourquoi et comment les membres du Parti patriote, Louis-Joseph Papineau en tête, ont négocié la fin du droit de vote pour les femmes propriétaires, qui s’est officiellement concrétisée lors de la réforme électorale de 1849.

Regagner une voix et des droits

Les chapitres subséquents sont organisés de manière à nous faire comprendre les réalités sociales et culturelles des femmes après 1849, incluant les Autochtones, et comment certaines d’entre elles ont embrassé le militantisme afin de faire entendre leur voix sur la scène publique, plus particulièrement par le biais de l’écrit. Le livre nous permet à cet égard de découvrir de courtes biographies, présentées dans des encadrés à divers endroits, de militantes moins connues de notre histoire, qui ont œuvré pour l’obtention du droit de vote et d’une égalité civile. Citons en exemple les portraits de Lady Ishbel Aberdeen, fondatrice du Conseil national des femmes du Canada, et Florence Fernet-Martel, qui collaborait entre autres à l’émission Fémina sur les ondes de la radio publique dans les années 1930.

Au gré des confrontations et au fil des décennies, l’historienne doit aussi nous plonger dans les subtilités de la loi et du Code civil, qu’elle marie habilement à l’histoire plus générale des luttes des femmes, nous permettant de nous éloigner de la vision religieuse des résistances au suffrage féminin. Les réactions souvent hostiles, misogynes et arriérées de certains politiciens, journalistes et caricaturistes sont par ailleurs bien mises en évidence dans la présentation des obstacles rencontrés par les militantes et sont parfois corroborées par des caricatures ou des publicités d’époque, qui viennent ajouter au réalisme des faits décortiqués.

Denyse Baillargeon réussit ici un coup de maître avec un essai dense en regard du contenu, mais aussi ludique et instructif grâce aux ajouts de biographies et de documents visuels, qui dépoussièrent quelque peu le style historique traditionnel. La recherche d’archives documentaires pour parvenir à aller au-delà de l’histoire déjà connue des luttes pour l’obtention du droit de vote au Québec est d’une grande qualité et confère à cet essai une originalité, celle de faire sortir de l’anonymat des femmes qui ont souvent travaillé dans les coulisses des mouvements de revendications, mais dont le rôle a été essentiel. ♦

Auteur·e·s
Individu
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
Denyse Baillargeon
Montréal, Remue-ménage
2019, 240 p., 23.95 $