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Toujours vivant

Les héros ne meurent jamais, selon la maxime. C’est certainement le cas de Red Ketchup, cet agent du FBI créé au début des années 1980 dans le défunt magazine Croc.

Bande dessinée

Les héros ne meurent jamais, selon la maxime. C’est certainement le cas de Red Ketchup, cet agent du FBI créé au début des années 1980 dans le défunt magazine Croc.

Quiconque a déjà lu une aventure de ce personnage mythique de la bande dessinée québécoise ne l’a pas oublié. Apparu une première fois aux côtés de Michel Risque en 1981, sa popularité a amené les deux créateurs à lui consacrer sa propre série dès 1983. Le type avait de quoi frapper l’imaginaire: agent du FBI à la carrure athlétique, cheveux roux drus et albinos de peau de surcroît, le bonhomme surprend. Ajoutons un tempérament extrêmement violent, une absence totale de patience, aucun tact dans ses relations et une dépendance aux drogues et médicaments. Bref, tout pour plaire. Ce neuvième album de Red Ketchup publié à la Pastèque avait été commencé il y a vingt ans et interrompu à la suite de la fermeture de Croc. Les deux auteurs ont gentiment repris du service pour le terminer. Mais est-ce vraiment pour notre plus grand plaisir?

Rebondissements à répétition

La première planche s’ouvre sur un ennemi connu de Red Ketchup, Otto Künt, vieux savant un peu fou, et sa jeune épouse Pandora, ancien mannequin. Cette dernière s’appelle en fait Penny, mais le scientifique est convaincu qu’elle est la réincarnation de son premier grand amour qui se nommait Pandora. Otto a inventé une crème qui semble provenir de la fontaine de jouvence: elle rajeunit quiconque l’applique sur son visage. Voyant là un parfait moyen de faire fortune sur le dos de son vieux mari, Penny commercialise la crème sous le nom d’«Élixir X». Or, ce produit n’ayant pas été expérimenté avant d’être lancé, nul ne connaît encore ses effets secondaires, dont le plus virulent est l’agressivité qui s’empare des personnages en ayant fait l’usage.

Pendant ce temps, le FBI opère une batterie de tests sur Red Ketchup et ce, malgré lui, pour tenter de comprendre sa constitution et sa psyché, car dans un album précédent, Le couteau aztèque, il avait participé à des manifestations paranormales. Bien sûr, il réussit à s’échapper de l’agence fédérale, au grand dam de ses patrons qui connaissent ses façons de travailler peu orthodoxes. Sa sœur, Sally Ketchup, maintenant auteure à succès, est victime de plusieurs tentatives de meurtre. L’intrigue étant déjà assez chargée ainsi, les auteurs en remettent une couche en ramenant le producteur de cinéma Skip Cooney, croisé au fil d’aventures passées. En fait, Skip finance le projet de Penny tout en cherchant à éliminer Sally et Red qui ont fait échouer jadis un de ses complots. Godbout et Fournier ont souvent utilisé la technique classique de rappeler un épisode précédent en bas de page, moyen de faire cher à Hergé, mais qui paraît un peu vieillot aujourd’hui.

La suite des événements devient encore plus abracadabrante lorsque Red Ketchup, pour tromper le tueur à gages engagé par Clooney pour éliminer Sally, emprunte les traits de celle-ci. On a l’impression ici que les auteurs rompent avec l’essence même du personnage, cette espèce de virilité poussée à l’extrême propre aux héros masculins du cinéma américain des années 1980. L’histoire prend un tournant d’autant plus ridicule quand Sally se déguise en Red… Les quiproquos qui suivent sont tellement tirés par les cheveux que la calvitie guette les lecteurs. L’album se termine par une demi-victoire pour les Ketchup, puisque certains vilains courent toujours. D’ailleurs, les dernières planches laissent la porte ouverte à de nouvelles aventures, qui, espérons-le si elles se concrétisent, sortiront un peu de la redite que constitue Élixir X.

L’album de trop

Cet album, quoiqu’il contienne quand même de bons moments, est chargé à outrance. Trop d’intrigues qui s’entremêlent pour, à la fin, susciter peu d’intérêt chez le lecteur. Heureusement, le dessin de Godbout est toujours aussi fin et coloré, les décors sont remplis de détails amusants et les scènes de violence toujours aussi explosives. Les phylactères abondent, de quoi rendre jaloux les instants de grandiloquence d’Achille Talon. On en vient à se demander à quoi servent tous ces dialogues, souvent trop longs pour ce qu’ils annoncent.

J’avais beaucoup aimé replonger dans les aventures de Red Ketchup avec les deux albums intégraux publiés par La Pastèque ces dernières années. Peut-être ce plaisir était-il relié à des souvenirs de cette époque où Croc était une lecture obligatoire. L’achèvement de cet album n’amène rien de nouveau au personnage. J’aurais préféré de loin voir revivre le héros aujourd’hui. Il serait fascinant de découvrir Red Ketchup évoluant dans une époque de rectitude politique comme la nôtre.♦

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Jacques Godbout, Pierre Fournier
Montréal, La Pastèque
2017, 48 p., 18.95 $