Aller au contenu principal

Terrain miné

Les deux premières pièces de Marianne Dansereau sont aigres-douces. Il s’agit de textes irrévérencieux, satiriques, mais aussi tragiques et même, en fin de compte, politiques.

Théâtre

Les deux premières pièces de Marianne Dansereau sont aigres-douces. Il s’agit de textes irrévérencieux, satiriques, mais aussi tragiques et même, en fin de compte, politiques.

Pas plus que Sarah Berthiaume, Catherine-Anne Toupin ou Rachel Graton, par exemple, Marianne Dansereau n’était prédestinée à l’écriture dramatique. Qu’à cela ne tienne, celle qui a été formée en interprétation à l’École nationale de théâtre voit ces jours-ci des années d’efforts récompensées par la parution et la création de ses deux premières pièces. Savoir compter et Hamster (prix Gratien-Gélinas 2015), toutes deux publiées aux Dramaturges Éditeurs, seront respectivement mises en scène par Michel-Maxime Legault au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en novembre 2017 et par Jean-Simon Traversy à la Licorne, en mars 2018.

Lieu, temps et action

Le théâtre de Marianne Dansereau fait la part belle à l’adolescence, cette période de tous les possibles et de toutes les calamités. Bien entendu, il est largement question de sexualité. Du moins en apparence. Parce que sous la surface, au-delà des mots crus et des gestes sans ambiguïtés, au-delà des actes accomplis souvent brutalement, il est d’abord et avant tout question d’amour et d’identité, en somme d’humanité, ce qui n’exclut d’ailleurs pas plusieurs allusions au mode de vie des animaux.

Savoir compter est une pièce chorale, dans le sens le plus cinématographique du terme, c’est-à-dire que le temps y est habilement déconstruit et que les destins s’y font cruellement écho. L’enchevêtrement du passé et du présent, du réel et de l’imaginaire, de la vérité et du mensonge, tout cela permet à l’auteure d’exprimer la tendresse aussi bien que la violence, de dépeindre, non sans susciter un certain suspense, un monde où cohabitent malveillance et compassion. Ce théâtre est également porté par une langue orale, un parler qui tourne le dos à la grammaire, puise à l’anglais, aux jurons et aux marques de commerce pour traduire une réalité, une communauté d’esprit, ou plus précisément un sort, un désarroi, voire une fatalité.

Ce théâtre est celui d’un lieu. Du dépanneur au McDonald’s, du centre commercial au Costco, du Futur Shop au Club Piscine, l’imaginaire de Dansereau se déploie en banlieue. Fontainebleau, Boucherville ou Boisbriand, peu importe, pourvu que ce soit «un endroit où il est possible de trouver des rues entières pleines de grosses baraques de riches cordées les unes à côté des autres. Des maisons qui ont toutes une piscine creusée dans leur cour». En adoptant un ton faussement léger, souvent cinglant, l’auteure règle ses comptes avec un territoire, des êtres et des idées, en somme une vision du monde.

Portraits de groupe

Dans les deux pièces, les personnages, nombreux, bigarrés, n’ont pas de nom et de prénom. À la place, ils ont droit à des formules, souvent fort évocatrices. Il y a la Fille qui se demande combien et le Gars qui a arrêté de calculer. Ou encore la Fille qui a une jupe trop courte selon le règlement et le Gars qui arrive à la job sur le fly même si son prochain shift est dans deux jours. Entre les protagonistes de Savoir compter, c’est la déception qui domine, la misère affective et sexuelle, la solitude et le sentiment d’abandon. Le vide est impossible à combler. Les ressemblances avec notre époque sont tout sauf fortuites:

Huit pogos que je me clenche pour me fermer la trappe, pour pas vomir ma honte, mon dégoût pis le tabarnac de gros câlisse de cri-aigu-qui-te-fait-avoir-un-acouphène-jusqu’à-la-fin-de-tes-jours qui demande juste à sortir de ma bouche pis à contaminer tout le monde comme une épidémie de maladies vénériennes. Je me demande depuis quand le mensonge s’est mis à me spooner, à me dire «Je t’aime» à l’envers comme dans les vinyles où on entend Satan, à me fourrer ben raide.

L’humour de Dansereau, son délectable sens de l’exagération, la truculence de ses personnages, ne sont que les rouages d’un astucieux levier pour le drame. Ainsi, il n’est pas rare qu’on passe de la moquerie à l’abus, du banal au déterminant, de la frousse à la frayeur, parfois même du grotesque au tragique. Associé à des notions comme la fidélité, l’engagement et le respect, mais aussi à des gestes irréparables, le couple est une extraordinaire métaphore des rapports entre l’être humain et sa société. En ce sens, la question qui sous-tend les deux premières pièces de Dansereau pourrait bien être celle de la responsabilité inhérente au vivre ensemble. ♦

Auteur·e·s
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
Marianne Dansereau
Montréal, Dramaturges Éditeurs
2017, 106 p., 14.95 $
Marianne Dansereau
Montréal, Dramaturges Éditeurs
2017, , 2018.00 $