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Tel un orphelin

Le deuxième roman d’Éric Mathieu relate la jeunesse fantasque d’un enfant mal aimé par ses parents, offert au regard médusé du lecteur qui se prend d’une affection manifeste à son égard.

Roman

Le deuxième roman d’Éric Mathieu relate la jeunesse fantasque d’un enfant mal aimé par ses parents, offert au regard médusé du lecteur qui se prend d’une affection manifeste à son égard.

Chevelure rousse, visage allongé, museau pointu: Émile Claudel a le physique d’un renard, d’où son surnom de Goupil. Ce n’est pourtant pas son allure surprenante qui fait que sa mère a du mal à s’attacher à lui. Ce qu’elle lui reproche, c’est plutôt son caractère: une aptitude précoce pour la parole, puis un penchant pour l’aventure et les mauvais coups, une grande curiosité mais de piètres résultats scolaires.

Son enfance, dans la petite bourgade de Mayerville, en France, juste après la Seconde Guerre mondiale, est jalonnée des petites et grandes misères que lui assènent les adultes qui devraient prendre soin de lui. Ses parents, le vieux voisin entiché de sa mère, le magicien de la fête foraine qui l’emploie, sans oublier le directeur de l’institution où il est placé; tous faillissent à lui offrir le minimum dont un enfant a besoin pour s’épanouir.

À l’adolescence, le verdict parental est sans merci: «Tu es insupportable, turbulent, un vrai cancre, on ne peut plus te contrôler», récitera son père avant d’aller le conduire à la Maison des pupilles, un lieu austère qui accueille principalement des orphelins. Un endroit où sa mère le visitera rarement, l’y laissant même les fins de semaine, durant les vacances et à Noël:

Ce n’est que plus tard que je compris que l’essence même de cet établissement était de nous séparer coûte que coûte de notre famille et qu’en aucun cas les rapprochements n’étaient encouragés, encore moins pendant les fêtes de fin d’année.

Pour des yeux extérieurs, pourtant, les frasques du Goupil semblent facilement pardonnables: dévisser des boîtes aux lettres durant la nuit et les regrouper dans un terrain vague où les villageois pourront aller les récupérer; mettre ses coudes sur la table malgré les indications contraires de sa mère; passer tout droit et arriver en retard au repas du soir.

Car les pires forfaits du jeune Émile ont été perpétrés à l’insu de ses parents, souvent pour essayer de faire la lumière sur cette rumeur tenace au village à l’effet que son père ne serait pas son véritable géniteur. Ainsi, il se faufile au grenier avec une clé volée pour fouiller dans le courrier maternel ou pénètre en cachette dans la maison du voisin pour y chercher des indices sur les liens qui l’unissent à sa mère.

Un cancre heureux

À travers les épreuves, Émile Claudel parvient malgré tout à tirer son épingle du jeu: organiser un trafic de cigarettes à l’orphelinat, découvrir l’identité de son véritable père malgré les secrets maternels, dégoter de la nourriture après s’être enfui de la Maison des pupilles, puis trouver un boulot lorsque les victuailles se font rares.

Même si je pleure beaucoup, je ne suis pas un enfant triste. Au contraire, je suis gai, plein de vie, j’aime les autres, je ne suis pas l’enfant de la Maison des pupilles. Je ne suis pas orphelin. Je ne suis pas un cancre. Je ne suis pas un voyou. Je suis enfant divin. Je suis enfant intérieur.    

Le Goupil est un roman aussi singulier que le personnage qu’il met en scène. Ambitieux — relater toute la jeunesse d’un personnage, de ses premiers mois à son dix-huitième anniversaire, sur plus de quatre cents pages, n’est pas une mince affaire — et parsemé de références historiques, mais aussi de citations littéraires, il demeure malgré tout un livre jovial et guilleret, à l’image de ce héros plein de ruses et de joie de vivre.

Les entraves à la vraisemblance, les petits délires et les cocasseries se marient sans jurer à de nombreux repères historiques — le contexte de l’après-guerre, la référence au statut de Pupille de la Nation, une protection de l’État français instaurée en 1917 pour prendre en charge des orphelins ainsi que des enfants sous la responsabilité conjointe de leur famille et de l’État — dans un savant dosage d’émotions, d’aventures et de loufoqueries. Le tout porté par une langue vive et imaginative. Bercée d’images, rarement avare de qualificatifs, la plume de Mathieu éblouit par sa fluidité malgré la richesse de ses constructions.

Parfois, le narrateur-Goupil cède sa place à un narrateur omniscient et offre ainsi un recul salutaire sur le récit, un moment de respiration à l’histoire.

Le soir, allongé sur son lit, toi le Goupil, tu te demandes: «Si je suis un cancre, si je suis si mauvais, qu’adviendra-t-il de moi? Je deviendrai peut-être un criminel, un assassin qu’on recherchera dans toute la France.»

Même si l’enfance est l’un des lieux les plus visités par les fictions en tous genres, il demeure que lorsque la candeur et l’adversité arrivent à créer des sagas de la trempe de celle-ci, c’est toute la puissance évocatrice de cette période de la vie qui est magnifiée. ♦

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Éric Mathieu
Montréal, La Mèche
29,95
2018, 424 p., 29.95 $