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Sur le rêve d'être une actrice

Sur le rêve d'être une actrice

«Entre un aéroport et un hôtel, vous voulez toujours savoir qui je suis, j’adore ma mémoire, elle m’est infidèle...»

Essai

«Entre un aéroport et un hôtel, vous voulez toujours savoir qui je suis, j’adore ma mémoire, elle m’est infidèle...»

Dalida chante qu’elle a beaucoup voyagé, qu’elle s’appelle Amnésie. Elle insiste, elle répète, elle se contredit. Non, je ne suis pas Italienne, ni chanteuse, ni comédienne. Sa voix s’accorde au présent puis au passé, mais quand on l’entend chanter que, sous la pluie des mauvais jours, elle suit la ligne d’amour, c’est le temps des fleurs qu’elle réinvente. Un temps qui tourne si vite qu’on oublie parfois que la beauté, comme le reste, est déjà en train de mourir.

Le sourire de Dalida

On peut sans doute fantasmer longtemps sur le secret d’un sourire ou sur ceux que dissimulent des yeux tristes. Mais quand le sourire se transforme pour laisser passer la voix... quand les yeux s’ouvrent comme pour figer la peur elle-même... et que la tendresse des mots se frotte au scalpel des gestes... il faut apprendre à sortir du règne de l’image. Et emprunter, comme le fait brillamment Michel Rheault, la voie de l’affection, et du détail.

Écrire sur Dalida me paraissait ambitieux. J’imaginais un livre plus lourd peut-être à cause de sa longue carrière, de ses innombrables chansons, d’une vie marquée par plus d’une tragédies. Les amants suicidés, ses tentatives à elle, «le mythe de la femme immolée sur l’autel de la gloire». Je craignais une approche biographique qui ferait de Dalida une statue de marbre, de sel, de plâtre, ou pire un cas, une froide autopsie. Une écriture qui étoufferait sa voix qui casse et qui oublierait sa main qui tremble.

J’avais peur d’un regard autre que le mien sur cette femme que j’ai aimée sans savoir qui elle était; sa musique jouant le dimanche dans la cuisine de ma grand-mère et le souvenir de leurs voix qui se superposaient. Celle un peu décalée et rêche de ma grand-mère qui pilait les pommes de terre et marmonnait un po d’amore... et me confiait son rêve d’être actrice.

J’ai rarement été aussi contente de me tromper. La Dalida de Michel Rheault a ce qu’il faut pour ravir les initiés et séduire ceux et celles qui ne la connaissent pas. La juste part d’expérience et d’analyse. Beaucoup de son élan à elle, assez de son élan à lui, «c’est là, brutal, à vif. Ça se constate: ça se refuse ou ça se reçoit». Puisque bon, il faut tout de même accepter d’entrer dans l’univers d’un fan. Un vrai. Le genre qui fascine et qui complexe les gens qui ne comprennent pas bien ce que cela implique d’adorer une inconnue, une star. Une femme qui «sous le couvert de la dispersion» incarne «la mémoire de symboles plus ou moins lointains. C’est«un personnage», écrit Rheault, sans pour autant la traiter comme tel. Puisque, vivante, elle le redevient presque.

Une œuvre pour elles

Dalida est à la chanson ce que George Sand est à la littérature: un débordement, un trop-plein. Une vie si riche d’événements tragiques et d’histoires d’amour sulfureuses qu’elle prend le pas sur une œuvre foisonnante, excessive, injustement dévaluée par les exégètes.

Je crois que la beauté de l’essai de Rheault provient justement de cet humble retour à la littérature. À la façon toute simple de raconter une histoire. En ne cédant ni à un regard trop étroit ni à l’envie de se projeter trop loin, il nous la fait aimer à rebours. Une fois le livre refermé, j’en suis même venue à regretter le temps des robes à paillettes et des longues vagues dans les cheveux.

Chœur de femmes

Sa Dalida donne une prise sur le présent et incite à revenir en arrière. Elle nous fait relire Andromaque et revoir Un tramway nommé Désir. Elle nous fait redécouvrir le désir immense de la Dalila de Saint-Saëns, chanté par Maria Callas. Avec elle, nous allons même jusqu’à errer dans le cimetière que devient Google Images quand, à la chaîne, nous écrivons les noms de Cléopâtre, Vivien Leigh, Rita Hayworth, Ava Gardner et Marilyn Monroe. Comme pour vérifier les ressemblances, les influences. Elle nous plonge dans un monde dont on aime croire qu’il est un rêve puisque le temps du noir et blanc est révolu; et que celui de l’amour-pour-toujours n’est plus très fort...

Michel Rheault crée, autour de Dalida, un réel chœur de femmes dont les voix immenses ne font pas que «traverser» les époques, comme on se plaît souvent à le dire, à tort. Parce que ce ne sont pas des voix qui se déplacent aisément. Ce ne sont pas des voix qui trouvent naturellement leur place. Ce sont des voix qui écorchent, et qui attirent les mauvaises langues. Oui, peut-être que ces langues résistent parce qu’elles ont souffert. Mais ce sont avant tout des voix qui s’imposent parce qu’elles ont aimé. Un peu, beaucoup, passionnément... et parfois même au point de nous faire oublier que cet amour était vrai. Rheault termine avec l’image d’une pleureuse. Mais la dernière note est trop tendre pour les larmes.♦

Auteur·e·s
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Michel Rheault
Montréal, Alias
Alias poche
2017, 174 p., 13.95 $