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Se réconcilier avec soi

S’affronter soi-même, ne plus vouloir disparaître. C’est le défi qui attend une jeune femme suicidaire lorsqu’elle accepte, par dépit et lassitude, de traiter ses dépendances.

Roman

S’affronter soi-même, ne plus vouloir disparaître. C’est le défi qui attend une jeune femme suicidaire lorsqu’elle accepte, par dépit et lassitude, de traiter ses dépendances.

Dopamine, le premier roman de Jeanne Dompierre, est le troisième titre de la collection dirigée par Stéphane Dompierre «La Shop» (Québec Amérique), qui avait fait une entrée remarquée en librairie en 2016 avec le très beau À l’abri des hommes et des choses de Stéphanie Boulay.

Huit semaines dans un centre de désintoxication. C’est le temps qu’il faudra à une jeune adulte pour se reconstruire juste assez afin d’affronter de nouveau le monde qui l’entoure après une tentative de suicide.

Anorexique et toxicomane, elle devra accepter de se nourrir et cesser de consommer, tout en faisant le deuil de sa mort ratée; mais surtout, réapprendre à vivre, doucement, malgré les exercices qu’elle juge ridicules, les intervenants qu’elle trouve mièvres, les habitudes du lieu qu’elle estime risibles.

Bien qu’elle vienne d’un milieu beaucoup plus confortable que celui dont sont issus plusieurs de ses compagnons de thérapie, elle a, à vingt et un ans, démissionné de la vie. Un des intérêts du roman est de retracer comment on en arrive, si jeune, à ne plus croire en rien.

Dans cet endroit monotone où tout est contrôlé, à sa plus grande surprise, elle commence tranquillement à regagner le goût d’elle-même: «Tu décides qu’à défaut de trouver le courage de t’enfuir,
tu trouveras celui de te venger du monstre. Tu acceptes de jouer le jeu. Tu es prête à te laisser reprogrammer.»

Tête-à-tête avec le mal de vivre

En plus des séances de groupe, la jeune femme voit une médecin,
un thérapeute. Ils établissent qu’elle souffre d’un trouble de personnalité limite, un diagnostic auquel elle se résigne:

Grâce au pot-pourri pharmaceutique qui t’assomme avec l’efficacité d’un coup de pelle quotidien, tu as de toute façon l’impression d’en faire le deuil, de ta personnalité. Tu ne comprends pas comment tu es censée travailler sur tes foutues émotions si tu as cessé de ressentir quoi que ce soit.

Jeanne Dompierre a choisi de construire ce premier roman à la deuxième personne du singulier. Le procédé ne crée pas de distance, bien au contraire: le lecteur accède ainsi avec une grande acuité aux émotions contradictoires et complexes du personnage principal. Ce point de vue permet au narrateur omniscient de tout nommer, sans la censure et les enjolivements qui viennent avec le discours intérieur, comme une amie sans bullshit, un psychologue qui aurait perdu ses bonnes manières, un alter ego tout puissant: «L’angoisse t’envahit aussitôt, tu fais non de la tête, tu ne peux pas, tu ne veux pas, tu ne dois pas manger. Surtout pas ça. Le trou dans ton ventre, c’est tout ce qu’il te reste de la mort qu’on t’a volée, ils n’ont pas le droit de le remplir de force.»

Entre quatre murs

Dopamine s’amorce sur un huis clos, au centre de désintoxication. Puis, au fur et à mesure que la patiente prend du mieux, le récit emmène le lecteur dans des moments clés du passé de la jeune femme, puis à l’extérieur du centre, lorsque des droits de sortie sont finalement acquis.

À plusieurs égards, Dopamine rappelle le premier roman d’Olivia Tapiero, Les murs, qui avait remporté le prix Robert-Cliche en 2009 avec une histoire similaire: l’hospitalisation, à la suite d’une tentative de suicide, d’une jeune femme dont on ignorait aussi le prénom. Et dans les deux romans, il y a un «monstre»: le personnage de Tapiero nommait ainsi, avec une majuscule pour sa part, l’humanité intérieure qui rebutait son personnage alors que l’antihéroïne de Dopamine décrit grâce à ce mot — monstre — la part d’elle-même qui a anéanti l’enfant qu’elle était:

Un matin, tu t’es levée du lit et l’enfant studieuse que tu avais été n’était plus là. C’est un monstre qui avait pris sa place, une créature hideuse qui, désormais, te dévorerait de l’intérieur, se nourrirait de ton cœur, de ta chair. L’enfant, pourtant, n’était pas morte. Au fond, tu t’en doutais, elle serait toujours bien vivante, même sous le joug du monstre. Parfois, tu l’entendais crier à l’intérieur de toi, les rares jours où le monstre se taisait un peu. Son cri résonnait faiblement, comme emprisonné derrière une épaisse vitre, et tu avais appris à l’ignorer avec le temps.

Les murs était aussi beau qu’étouffant. Dopamine a pour sa part quelque chose de plus ancré dans le réel, le concret. Il est plus lumineux aussi. Là où Les murs diffusait une atmosphère suffocante, où l’avenir de la protagoniste semblait sans issue, le roman de Jeanne Dompierre laisse entrevoir la vie après les excès et le mal de vivre. Il le fait d’une voix juste, qui mérite tout à fait sa place elle aussi. ♦

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Jeanne Dompierre
Montréal, Québec Amérique
2018, 160 p., 22.95 $