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Résister à l'extinction

Dans les sept nouvelles d’Indice des feux, la nature est une constante qui s’accorde aux dérives humaines et nous transporte au bord du gouffre, là où il reste encore une chance d’être sauvé·es.

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Dans les sept nouvelles d’Indice des feux, la nature est une constante qui s’accorde aux dérives humaines et nous transporte au bord du gouffre, là où il reste encore une chance d’être sauvé·es.

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La faune et la flore s’entremêlent naturellement à la trame des textes et mettent en évidence l’interrelation qui prédomine entre les humains et elles. Le portrait n’est pas idyllique, certes: on nous parle de la disparition d’espèces animales, des inondations inquiétantes et des constructions immobilières qui empiètent sur les boisés. Si le recueil ne se pare pas de bucolisme, il n’est pas non plus dramatisant. Il fait état d’un monde qui pourra être soustrait à son effacement grâce à la conviction que l’environnement ne constitue pas qu’un enjeu électoral: c’est avant tout une part de nous-mêmes, le lieu où nous vivons et où nous sommes en interaction indissoluble.

Rompre la digue

Dans «À boire debout», la première nouvelle du livre, un adolescent apprend qu’il souffre d’une leucémie. Tandis qu’il est reclus dans sa chambre d’hôpital, il regarde par la fenêtre la pluie qui se déverse sans discontinuer sur la ville et provoque des inondations. L’état de la Terre et celui du jeune homme arrivent à un instant de fusion: «L’eau et le ciel sont à l’endroit et à l’envers en même temps, tourbillonnent avec moi, et moi avec eux.» La mort annoncée se transformera peut-être au milieu de sa chute. En même temps que les pluies torrentielles causent des déluges et des catastrophes, il est permis de penser qu’une fois lavé de ses souffrances, le monde pourra bénéficier d’un possible recommencement.

Pour le narrateur de «Couplet», la présence d’une baleine noire, qu’il croit avoir aperçue dans la baie de Cape Cod, deviendra un symbole d’espérance, d’autant plus qu’il attend la venue de son premier enfant. À mesure qu’il organise avec sa compagne le déménagement dans leur première maison, il voit leur relation s’étioler et le nombre de décès de mammifères marins augmenter. L’aveu des peurs respectives des protagonistes ravive leur connivence et l’espoir.

Un même lien, fraternel celui-là, unit Cédric à son frère Louis dans la nouvelle «Feu doux». Enfant surdoué, Louis est voué à une grande carrière et fait, dès son plus jeune âge, la fierté de la famille. Il termine avec brio des études en droit, mais choisit de voyager au lieu de poursuivre sur sa lancée professionnelle éblouissante. Déçus, ses proches souhaitent qu’il entende raison et réintègre l’éclatante destinée qui lui est promise. Son chemin bifurque toutefois vers une voie qui le rapproche de la nature et d’une vie marquée par la sobriété et la simplicité. Petit à petit, le grand frère de Louis, qui entre-temps aura également pris conscience de ses propres manques, se réconcilie avec les décisions de son cadet. Ce texte, plus que tous les autres, illustre l’importance de ce qui sous-tend nos actes. L’environnement nous lie, et le bonheur se mesure au degré de cohérence entre nos valeurs et leur concrétisation.

Des racines profondes

Plus loin, dans «Ulmus americana», un grand-père raconte à son petit-fils la naissance du vieil orme qui s’érige majestueusement dans la cour. L’importance capitale de l’arbre pour le vieillard n’a d’égale que les soins que ce dernier lui a prodigués tout au long de son existence: «L’orme, une extension végétale de son être, à travers lequel coulait son propre sang et dont la pulsation remuait sa propre chair.» L’homme en a même extrait une légende, qui confère au grand feuillu des pouvoirs magiques et qu’il raconte à son descendant. L’arbre incarne la vie et la transmission, le passé et l’avenir; il devient le vecteur par lequel le grand-père insiste sur la nécessité de prendre soin de ce qui nous entoure. Cette fiction clôt l’ouvrage sur une note ouverte.

L’écriture maîtrisée d’Antoine Desjardins enrichit le recueil, dans lequel on ne retrouve guère de ruptures de ton. Cela dit, on aurait peut-être aimé en voir poindre au fil de l’œuvre: elles auraient pu relever un style un peu trop égal. Les lignes directrices de certaines nouvelles sont moins claires, et quelques excipit sont plus maladroits. Qu’à cela ne tienne: l’intérêt de ce premier livre reste indéniable.

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Antoine Desjardins
Saguenay, La Peuplade
2021, 360 p., 26.95 $