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Réglement de comptes dans les Balkans

Réglement de comptes dans les Balkans

Retraité de l’armée canadienne devenu antiquaire, Alexandre Jobin a déjà quelques enquêtes derrière lui. Mais ce n’est pas pour cette raison que les services de renseignement canadiens font appel à lui le 4juin 2005.

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Retraité de l’armée canadienne devenu antiquaire, Alexandre Jobin a déjà quelques enquêtes derrière lui. Mais ce n’est pas pour cette raison que les services de renseignement canadiens font appel à lui le 4juin 2005.

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Son ancien lieutenant et ami Ian Fitzgerald, passé au Service canadien du renseignement et de sécurité (scrs), a été assassiné à Montréal alors qu’il enquêtait sur une filière de contrebande d’armes en provenance de la Croatie pour le compte de la mafia italienne. Jobin n’hésite pas longtemps à accepter la mission: la guerre de Croatie lui donne encore d’épouvantables cauchemars, et le milicien auteur des pires exactions auxquelles Jobin ait assisté, Dragomir Broz, passé entre les mailles du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et converti en homme d’affaires, est soupçonné d’être à la tête du trafic. Voilà l’occasion pour Jobin de déguster bien froide sa vengeance.

Les recherches de Jobin commencent dans un bar croate de l’avenue Van Horne à Montréal, où il se fait vite repérer, mais il détecte tout de même quelques protagonistes louches, dont un certain Horvat, qui semble être à la tête de l’opération, et d’autres sous-fifres, qu’il fait parler avec des méthodes, disons… discutables. Pendant ce temps, le Service de police de Montréal enquête sur le meurtre de Fitzgerald et prend vite en grippe ce Jobin, qui surgit partout sur son chemin. Le scrs lui-même est un peu dépassé par son agent, à moins que cette méfiance soit le fait de traîtres à l’intérieur du service. Jobin ne se laisse pas démonter et s’envole pour Trieste, port par lequel transitent les caisses d’armes, mais aussi, plus surprenant, des tableaux volés du peintre serbe Vladimir Velikovi. Puis de là, l’enquêteur roule jusqu’en Croatie, accompagné de son amoureuse d’origine croate Chrysanthy Orowitz, et suivi par une mystérieuse ange gardienne.

La femme dans le frigo

On pourra trouver convenus certains ressorts de l’intrigue, notamment cette ficelle que la scénariste et critique de bandes dessinées états-unienne Gail Simone a appelée «la femme dans le frigo». Il s’agit d’un type de personnage féminin dont le rôle est d’être tué ou torturé afin que l’intrigue trouve son moteur, et que le protagoniste masculin ait un motif de vengeance qui fera de lui le héros du roman. Jobin, dont la femme Françoise est morte d’une manière suspecte pendant la guerre de Croatie (à l’initiative, on s’en sera douté, du sinistre Broz), n’y échappe pas. Et quand elle lui réapparaît en rêve, au lieu de se désoler d’être morte si jeune, Françoise s’attriste pour son mari. Là où le ressort devient plus difficile à avaler, c’est lorsque Jobin, qui a grossièrement compromis la serveuse du bar croate – violée et battue en guise de représailles par les malfrats dudit bar –, part en croisade empli d’une juste indignation sans jamais se remettre en cause (et on se dit: mais que croyait-il en essayant de s’allier à elle devant tout le monde?). Cette serveuse sera abandonnée à son sort sur un lit d’hôpital.

En revanche, il y a dans ce roman plein de flics femmes, quoique du côté du scrs ou chez les méchants, elles se fassent plus rares. Celle que j’ai appelée l’ange gardienne est une dure de dure. Chrysanthy sait tenir une arme et n’a pas froid aux yeux, même si ses goûts et ses relations avec le héros de l’histoire sont assez attendus: elle s’inquiète pour lui, lui pardonne tout, quoi qu’il arrive. Je ne mets pas en doute la bonne volonté de l’auteur; je crois seulement que la réflexion sur la représentation peut aussi porter sur la structure même des récits. Qui sont les moteurs de l’action? Quels personnages ont une vie intérieure, un rôle autonome?

De Montréal au Karst, en passant par Trieste

C’est en Italie, puis en Croatie, que le roman prend son souffle. À Montréal, on piétine un peu: les fils de l’intrigue sont assez simples, on connaît la plupart des suspects depuis le début. Encore faut-il les confondre et, pour Jobin, les réduire à néant. Au bord de l’Adriatique et dans les paysages tourmentés du Karst, le roman penche vers le récit d’action. Quoi de mieux qu’un port comme Trieste, qui voit passer des marchandises du monde entier, pour donner un air d’aventure? Quant à l’ex-Yougoslavie, où tableaux volés pendant la guerre et stocks d’armes sont toujours en circulation, où d’anciens criminels de guerre se promènent dans leur grosse voiture en toute impunité, elle est le lieu bien choisi pour un duel au sommet.

Les amateur·rices de romans d’espionnage trouveront leur compte dans cette chasse à l’homme, qui est aussi une chasse au passé du narrateur – c’est le souvenir d’une sale guerre dont les conséquences se font encore sentir.

Auteur·e·s
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André Jacques
Montréal, Druide
2021, 432 p., 24.95 $