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Regards sur l'histoire de l'homosexualité au Québec

Regards sur l'histoire de l'homosexualité au Québec

Parmi les sujets délaissés pendant longtemps par les historien·nes québécois·es, l’homosexualité masculine se taille une place de choix dans ce palmarès. Le livre de
Serge Fisette vise notamment à pallier cette carence.

Essai

Parmi les sujets délaissés pendant longtemps par les historien·nes québécois·es, l’homosexualité masculine se taille une place de choix dans ce palmarès. Le livre de
Serge Fisette vise notamment à pallier cette carence.

Publié aux éditions Québec Amérique, préfacé par Robert Lepage, ce livre offre un récit très éclaté des réalités vécues par les homosexuels, depuis la Nouvelle-France jusqu’à nos jours. Le résultat n’est donc pas un livre d’histoire au sens propre du terme, bien qu’une approche chronologique ait été privilégiée. Serge Fisette a opté pour un parcours très global et destiné au grand public. Le résultat est certes historique, mais davantage axé sur des thèmes qui relèvent de la sociologie et même de l’anthropologie culturelle. L’essayiste insère en effet des extraits d’œuvres littéraires et artistiques et s’adresse directement aux lecteur·rices dans un style familier. Même si les chapitres s’appuient sur des références, ce style entraîne parfois des généralisations incompatibles avec l’approche historique.

Pauvreté documentaire

Lorsqu’on regarde la construction du livre, on remarque d’emblée la très petite place réservée à l’époque de la Nouvelle-France, qui ne représente qu’une vingtaine de pages sur plus de deux cent soixante. Fisette a fait face au manque de sources et de données sur un sujet honni et caché au sein d’une société dominée par le catholicisme. Avant même le chapitre consacré à cette période, l’auteur précise dans le préambule que ce joug des institutions religieuses a marqué la répression homosexuelle au Québec. Il ne manque pas de souligner dès les premières lignes le manque de documentation, qui concerne aussi les Premières Nations. Fisette attribue cette absence de sources aux Jésuites.

Pour trouver des traces des réalités homosexuelles, les registres de police et les rapports judiciaires ont été utiles, d’où le titre du premier chapitre: «Crimes et châtiments». Le résultat de cette enquête compliquée est néanmoins très intéressant, notamment lorsque l’auteur identifie un soldat qui aurait été le premier homme accusé de «crime contre nature». La réalité de l’armée, la proximité entre hommes et l’absence de femmes sont des facteurs qui expliquent que les plus anciennes preuves d’actes homosexuels en Nouvelle-France soient liées à des soldats. La brièveté de ce chapitre – dont la chronologie se termine par ailleurs bien après ladite période de la Nouvelle-France, soit en 1899 – nous laisse toutefois sur notre faim. Une analyse plus poussée des relations entre les Jésuites, les représentants de l’Église et les autorités civiles aurait ajouté un peu plus de chair au contenu.

Une histoire politique

L’histoire des actes homosexuels et de leur répression s’étoffe graduellement au gré des autres chapitres, alors qu’on entre dans le vingtième siècle, beaucoup mieux documenté. Nous sommes à la fois confronté·es aux dures réalités vécues par les gais au Québec depuis une centaine d’années, mais aussi ému·es par l’évolution de l’acceptation, qui est au cœur des deux derniers chapitres, consacrés au Village et à la légalisation du mariage entre conjoint·es de même sexe.

Ici aussi, Fisette passe de la documentation et de l’analyse historique aux anecdotes et parfois même aux interprétations assez subjectives de diverses situations, par exemple lorsqu’il donne les raisons qui expliquent l’importance des centres de conditionnement physique à la fin des années 1990. Si les questions relatives à l’acceptation de plus en plus grande de l’homosexualité masculine sont bien mises en évidence, elles sont étonnamment présentées comme une série de faits dans le chapitre final, dans lequel l’auteur énumère les œuvres littéraires, cinématographiques et télévisuelles qui s’intéressent aux enjeux homosexuels, sans toutefois insister sur leur contexte de production, le traitement de certaines thématiques,etc. Difficile, par ailleurs, de justifier ce manque de contexte, qui aurait non seulement enrichi le propos, mais permis de jeter un regard sociologique plus approfondi sur les perceptions modernes de l’homosexualité. L’exemple de la télésérie La vie, la vie (2001-2002), qui n’est que nommée, aurait été pertinent à analyser.

Cette approche quelque peu disparate rend la lecture – surtout celle des derniers chapitres – un peu difficile et nuit à notre intérêt. Il n’en demeure pas moins que L’homosexualité masculine au Québec reste un bel essai de collecte d’une grande variété de données sur l’évolution des réalités homosexuelles masculines au Québec. Cette documentation est d’ailleurs bien mise en relief par la bibliographie, qui donne envie d’approfondir le sujet.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Serge Fisette
Montréal, Québec Amérique
2021, 312 p., 29.95 $