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Pulsions de mort

Dans L’ombre des monastères, la docteure en psychologie Aglaé Boisjoli vient aider — à leur demande — d’ex-collègues de la Sûreté du Québec à débusquer les auteurs de crimes particulièrement violents commis dans le Bas-Saint-Laurent.

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Dans L’ombre des monastères, la docteure en psychologie Aglaé Boisjoli vient aider — à leur demande — d’ex-collègues de la Sûreté du Québec à débusquer les auteurs de crimes particulièrement violents commis dans le Bas-Saint-Laurent.

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Au Québec, puis en France et en Belgique, ont lieu des assassinats haineux laissant leurs victimes — toutes musulmanes — percées de plusieurs coups à l’arme blanche, décapitées, disposées dans des postures obscènes et entourées d’objets référant à un obscur rituel. À l’évidence, il ne s’agit pas d’actions de membres d’une secte religieuse, à l’instar par exemple des Thugs de l’Inde, adorateurs de la déesse Kâli, qui, du XIIIe au XIXe siècles, étranglaient les voyageurs pour délivrer la Terre de la race des démons. Il appert rapidement que les motifs sont ici d’origine raciste.

Comme avouera plus tard l’un des assassins à Aglaé Boisjoli, «tuer (l’ennemi) est une vraie joie, […], c’est l’apanage des grands seigneurs, le paroxysme de la supériorité du héros sur le vulgaire…». Pour en arriver à cette découverte, elle aura eu à se familiariser avec l’histoire et la pensée de l’extrême droite occidentale dont certains représentants d’aujourd’hui se remémorent les «hautes œuvres» du fascisme du siècle dernier. Ce qui la troublera profondément: «Comme si je découvrais à ma porte un autre monde dont je n’avais pas soupçonné l’existence.»

Déjà, dans un précédent polar, L’affaire Céline (Alire, 2015), Jean Louis Fleury avait tissé une trame plongeant dans l’univers de cet extrémisme. Cette fois-ci, ce sont des personnages comme Joseph Darnand, fondateur de la Milice française sous l’Occupation allemande, Léon Degrelle, ardent défenseur du nazisme en Belgique, et d’autres du même acabit qui inspirent de jeunes skinheads à prendre les armes pour «terroriser le bougnoule».

Aglaé Boisjoli se mettra, à Saint-Pacôme et à Rivière-du-Loup, sur la piste d’un fidèle de Jacques Dugé comte de Bernonville, autre collaborateur notoire, chargé d’affaires aux questions juives et chasseur de résistants. Ce pétainiste a réussi à vivre dans l’ombre durant des décennies grâce à la complicité et au soutien de membres du clergé québécois. Idéaliste à sa manière, il aura été le mentor du principal suspect de ce côté-ci de l’Atlantique. La confrontation avec ce nonagénaire sera dramatique. Très dramatique.

Au-delà de l’intrigue, L’ombre des monastères nous entraîne dans une réflexion sur les extrémismes de tout genre et sur la violence d’origines politique et doctrinaire. Notons le côté prémonitoire du texte, «écrit, souligne l’éditeur, plusieurs mois avant le sinistre attentat contre la mosquée de Québec» du 29 janvier 2017. S’y trouve également une réflexion sur la mort et sur l’acte de tuer, éléments au cœur même du genre policier. Pourtant, convenons-en, rares sont ses auteurs qui se penchent sur une telle question. Ils utilisent généralement la mort et le meurtre comme des outils narratifs et des supports aux rebondissements de l’intrigue sans amener le lecteur à réfléchir à leur signification profonde. Tuer, mourir, ce n’est pas anodin.

Fleury n’est pas le seul ni le premier à mettre en scène l’extrême droite. Pensons au roman de Jean Charbonneau, Camus doit mourir (Québec Amérique, 2016), qui se déroule à Paris dans les derniers jours de l’Occupation. Mais, là où Charbonneau se fait singulièrement concis, Fleury est particulièrement prolixe et même bavard. Ramasser, condenser le propos n’aurait cependant pas nui: le texte a parfois un ton d’éditorial. Autre sujet de gêne, sinon d’irritation, est le recours à des personnes ayant existé: il aurait été préférable d’inventer des personnages pour livrer les mêmes informations, tout en se donnant davantage de liberté narrative. Enfin, relevons la relative faiblesse du premier chapitre qui présente avec moult détails la plus récente histoire d’amour d’Aglaé Boisjoli: Fleury est nettement plus doué en matière policière.

Nonobstant ces quelques réserves, L’ombre des monastères est un roman bien construit, très bien écrit, qui se conclut sur une fin ouverte à toutes sortes de suppositions quant à la suite des enquêtes de la psychologue judiciaire.♦

Auteur·e·s
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Jean Louis Fleury
Lévis, Alire
2017, 332 p., 27.95 $