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Préparer la paix

Sensible et profonde, la nouvelle pièce de Véronique Côté cristallise habilement les multiples enjeux de la prostitution.

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Théâtre

Sensible et profonde, la nouvelle pièce de Véronique Côté cristallise habilement les multiples enjeux de la prostitution.

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Après s’être investie dans diverses créations collectives, notamment avec sa sœur Gabrielle, Véronique Côté voyait sa deuxième œuvre solo paraître en novembre dernier chez Atelier 10, presque dix ans après Tout ce qui tombe (Leméac, 2012). Abordant de manière rigoureuse, mais jamais sensationnaliste ni didactique, les douloureuses questions entourant la prostitution, La paix des femmes devrait connaître son baptême en septembre2022 au Théâtre La Bordée, à Québec, dans une mise en scène de l’autrice.

Une pièce et un essai

En plus de la pièce, Atelier 10 publie un essai sur le même sujet, Faire corps, cosigné par Véronique Côté et la chercheuse Martine B. Côté. «Je souhaite partager la somme d’informations que j’ai recueillies et assemblées pour documenter mon travail de fiction», explique d’emblée la dramaturge. Dans cet ouvrage instructif sans être aride, sorte de journal de création théorique, les deux femmes poursuivent un objectif clair: «sortir l’approche abolitionniste d’une forme d’invisibilité et, surtout, du parfum d’illégitimité dont on a pu l’entourer».

Rappelons que deux positions politiques existent chez les militantes féministes: alors que les «pro-travail du sexe» réclament la décriminalisation de la prostitution, les abolitionnistes cherchent à l’éliminer en s’attaquant principalement à la demande, c’est-à-dire aux clients et aux proxénètes.

Avec sa pièce, qui tire son titre du nom d’une loi suédoise destinée à lutter contre les violences faites aux femmes, Côté entend «transformer le réel, participer à l’évolution des mentalités».

«Toute transaction est une violence»

Afin d’interroger le geste qui consiste à acheter des actes sexuels et à s’en donner le droit, afin également de traduire l’impact de cette exploitation sur la vie des femmes, l’écrivaine a imaginé sept personnages. Au centre: Isabelle, professeure d’université en études féministes et en littérature. Près d’elle se trouvent deux couples: d’abord, Dave (son frère) et Marion, qui enseignent la philosophie au cégep; puis Sarah, ancienne étudiante devenue amie et chroniqueuse, et Max, humoriste de la relève.

L’action s’enclenche lorsqu’Alice, une femme colérique, souffrante, accusatrice, surgit dans le bureau d’Isabelle: «Ma sœur est morte pis c’est de votre faute.» À partir de là, les idées «pro-travail du sexe» de la professeure sont mises à rude épreuve. Le septième protagoniste est une femme sans corps, mais dotée d’une voix. Sa prise de parole est poétique, un brin onirique, et souvent hautement percutante. On comprendra rapidement à qui appartient cette voix. «Tout est transaction, affirme-t-elle. Et toute transaction est une violence dans un costume de civilisation.»

Débats contemporains

Criante d’actualité, truffée d’allusions au réel, de références à notre époque, la pièce brosse le portrait d’une certaine société et d’un milieu intellectuel relativement homogène, composé d’individus instruits jouissant d’un statut socioéconomique qui leur octroie des privilèges. Vous aurez deviné que le groupe d’ami·es a des échanges vifs et étayés, empreints d’assises théoriques et de mauvaise foi. Heureusement, Côté évite le manichéisme en créant des êtres pétris de contradictions: ils contribuent au problème tout en cherchant désespérément la solution.

Tous·tes sont engagé·es dans des débats où fusent les idées et les émotions, des dilemmes moraux – dont les enjeux éthiques se répondent –, et des déboires, qui s’entrelacent habilement. Chez Dave et Marion, il est question du désir d’avoir un enfant, d’infertilité, de procréation assistée, de don d’ovules, de deuils successifs et de sentiment d’échec, mais aussi d’inconduite sexuelle, d’absence de consentement et d’abus de pouvoir. Chez Sarah et Max, on aborde sans détour les raisons qui incitent un homme à devenir le client d’une prostituée.

Le noyau dur de la pièce se trouve à l’université, entre le redoutable plaidoyer d’Alice et les réponses de moins en moins assurées d’Isabelle. Il faut voir le chemin intellectuel et émotionnel que les deux femmes parcourent ensemble afin de se rencontrer: c’est bouleversant. Pour préparer la paix comme d’autres préparent la guerre, pour repartir sur de nouvelles bases, les personnages devront embrasser leurs échecs, reconnaître leurs limites, surmonter leurs deuils.

Comme l’écrit fort justement la journaliste Francine Pelletier dans un court texte qui clôt l’ouvrage:

On ne sait pas encore, et c’est la raison de toute cette apparente confusion, à quoi ressembleraient des rapports amoureux, ou simplement sexuels, nouveaux. Entièrement libérés des vieux comportements qui ont longtemps régi les rapports hommes-femmes. C’est la révolution qu’il nous reste à faire.

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Véronique Côté
Montréal, Atelier 10
Pièces
2021, 229 p., 15.95 $