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Pour une littérature périmée

Pour une littérature périmée

Le temps présent de Maxime Catellier est un essai qui se veut inactuel et qui réussit à s’inscrire à contretemps de son époque.

Essai

Le temps présent de Maxime Catellier est un essai qui se veut inactuel et qui réussit à s’inscrire à contretemps de son époque.

«Il faut absolument que tu lises le nouveau Catellier», avais-je dit à un ami après l’avoir fini. Encore sur ma lancée, j’étais enthousiaste. La réponse, elle, l’était moins: «Le nouveau Catellier, c’est à se pendre», me répond l’ami quelques jours plus tard. La critique n’a jamais été une science exacte et la raison de cette divergence d’opinion, c’était l’érudition un peu hors de son temps de l’auteur.

Comme le sont souvent les grands essayistes, Catellier est un écrivain décalé. On ne peut en effet aborder Le temps présent, recueil d’essais paru dans «Liberté grande», collection de la bibitte Robert Lévesque au Boréal, qu’en acceptant ce décalage. «J’entends ce monde bruire parce que j’écoute la vie taper dans le vide, comme un ruban magnétique glissant sur les têtes d’un magnétophone brisé», écrit l’auteur. L’image est celle d’un nostalgique des anciens supports, et c’est ce côté antiquisant qui plaît ou qui énerve.

Nostalgie, nostalgie

L’écrivain est un jeune déjà vieux sans être totalement réac, un émigré du bas du fleuve qui a fixé ses pénates dans le Centre-Sud, au Cheval blanc et dans des bars qui n’existent même plus avant de se ranger, de prendre femme, enfant et carrière. «Dans un temps aussi barbare que le nôtre, écrit Catellier, où la parole est un instrument plus adapté au mensonge qu’à la vérité, où le relativisme moral se drape dans la philosophie et où les actions réelles sont obscurcies par les réseaux virtuels qui ont parasité les liens sociaux, que reste-t-il sinon le contact avec la nature pour nous convaincre de la vanité de nos illusions?»

Catellier écrit avec cette drôle de bibliothèque derrière lui, une bibliothèque datée qui me rappelle celles que je récupérais quand j’étais bouquiniste ou, plus tard, documentaliste. Les bibliothèques ont des âges, passent par des modes ou des époques, et celle de Catellier se situe quelque part dans Centre-Sud au tournant du siècle. On y croise les Patrick Straram, Arthur Buies, Rutebeuf, Ivan Chtcheglov et Jacques Ferron, la figure de Baudelaire flotte au-dessus de l’îlot Balmoral, de la ville, de la campagne, dont la forme change plus vite hélas que le cœur d’un mortel.

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Il y a un rythme dans ces essais, une sorte de vague dans laquelle on se laisse porter ou non. Les mauvaises langues vous diront que l’éditeur aurait pu passer la tondeuse un peu dans les métaphores qui s’entrecroisent allègrement, parfois avec la pompe un peu déplacée d’un fauteuil Louis XVI au milieu d’un trois et demie, mais pas moi. Au contraire, il y a dans la prose de l’essayiste quelque chose qui me rappelle avantageusement le docteur Ferron, sa langue fleurie de notable de province, parfois décalée, elle aussi, d’un autre temps.

Les plus beaux moments du livre de Catellier parlent de Rimouski, de son boulevard affreux dont les commerces génériques font dos au fleuve. «Mon sentiment d’appartenance à ce coin de pays où je suis né est un réseau très fragile de sensations éloignées les unes des autres, comme si les souvenirs n’avaient pas la même charge quand ils tirent leur origine de L’Isle-Verte ou des îles du Bic.» Comme cette ville qui regarde partout ailleurs que vers la mer, la culture livresque de l’essayiste se construira à contresens dans ces ouvrages de la bibliothèque scolaire «prenant la poussière de l’ignorance dans un recoin discret de l’immeuble».

Récit d’une émigration

Il est difficile, à mon avis, de comprendre ce livre sans mesurer toute la portée affective de cette émigration de Rimouski à Montréal, une émigration qui ne saurait être regardée seulement avec nostalgie ou pour son caractère régional. Au contraire, la culture, celle qui habite Catellier à travers ses lectures et son parcours d’essayiste, est la grande ignorée de ce milieu d’origine et c’est par elle, notamment par l’œuvre d’Arthur Buies et d’André Breton, qu’il tente de se réapproprier les lieux de l’enfance.

Contrairement à Montréal qui recouvre sans cesse son passé, Rimouski refuse son présent, celui du fleuve, du vent et des orages qu’on voit venir de loin. «L’écriture aura accompagné cet apprentissage du temps en me donnant peu à peu des signes à tracer dans le vide de cet air glacial qui soufflait du fleuve quand il gelait sous nos yeux.» Catellier se voit donc lancé à la recherche de l’idéal esthétique quelque part dans un lieu qui n’est ni tout à fait passé ni tout à fait présent.

C’est dans la recherche de ce lieu impossible que Le temps présent tire sa force, et c’est là que le décalage d’un livre tout en rythme qui ne porte sur rien en particulier devient lisible. Décalage, disais-je, mais qui construit au fil des pages son plaidoyer pour un avenir approché sans cynisme, seule solution à «l’esclavage du présent». ♦

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Maxime Catellier
Montréal, Boréal
Liberté grande
2018, 144 p., 18.95 $