Aller au contenu principal

Poète guerrier

Le sixième roman de Denis Thériault revisite le Japon médiéval sur le ton de l’aventure et du fantastique.

Thématique·s
Roman

Le sixième roman de Denis Thériault revisite le Japon médiéval sur le ton de l’aventure et du fantastique.

Thématique·s

Le samouraï à l’œillet rouge se déroule au Japon, à la fin de l’époque Heian (794-1185). Cette période de l’histoire nippone est considérée comme l’apogée de la cour impériale et l’âge d’or de la culture et des arts japonais, qui s’émancipent alors de l’influence chinoise. Fils d’un tsumamono, un gentilhomme guerrier, et d’une mère amatrice de poésie, Matsuo, le personnage principal du roman, intègre une académie militaire, où il reçoit une longue et difficile formation afin de devenir un bushi, un guerrier au service du seigneur local. Ayant montré très jeune des dispositions et une inclination particulière pour la poésie, Matsuo méprise d’abord l’exercice militaire, jusqu’à ce qu’il réalise, grâce à la lecture d’un mystérieux recueil de poèmes guerriers, que la guerre est aussi un art compatible avec celui des mots. Le protagoniste se transforme en un «poète-combattant» à la recherche de sa nature véritable.

Aventures

Rempli d’aventures et de rebondissements, Le samouraï à l’œillet rouge présente le récit de la vie tourmentée de Matsuo. À peine termine-t-il sa formation militaire qu’il apprend que ses deux parents sont morts. Refusant de succéder à son père, il entame une longue quête spirituelle, poétique et guerrière. Un songe induit par une sorcière lui révèle qu’il vivra un amour immense et triomphant de la mort, et qu’il prendra le chemin de l’œillet rouge, qui tourbillonne comme l’eau contre le rocher. Matsuo suit alors un moine zen et lubrique jusqu’à Kyoto, où il connaît la débauche, mais aussi ses premiers succès littéraires. Il tombe amoureux de Yoko, la dame d’honneur de la sœur de l’empereur; devient jardinier afin de l’approcher; provoque un incendie, qui réduit une bonne partie de la ville en cendres; se fait brigand; remporte le concours poétique impérial sous un faux nom; enlève Yoko, puis la perd à jamais lorsque celle-ci est assassinée; découvre le mystère du temps; maîtrise le waka-qui-tue, un poème qui donne la mort par le simple fait de le réciter; et finit moine zen… Impossible de résumer en quelques lignes toutes les péripéties de cette vie, qui s’inscrit sous le signe de la poésie et de la guerre. Violence et amour y marchent main dans la main; les hasards, les retournements de situations et autres dei ex machina ne manquent pas. Thériault montre qu’il maîtrise parfaitement l’art du récit romanesque. Ce type d’œuvre est assez rare dans la littérature québécoise actuelle pour qu’on salue ici la proposition d’évasion et de rêveries qu’offre Le samouraï à l’œillet rouge.

Exotisme, femme et écriture

Toutefois, ce genre vient aussi avec ses lacunes. Le Japon mis en scène dans le livre apparaît décoratif. L’érudition avec laquelle ce pays nous est présenté ne cache pas le fait qu’il demeure extérieur à l’histoire, comme une couleur locale, un habillement, et que les références littéraires profondes du texte sont occidentales. On reconnaît en Matsuo la figure du poète brigand François Villon et celle d’Orphée. La structure du récit s’inspire du roman picaresque européen, qui suit les pérégrinations d’un héros tout au long de sa vie dans différents milieux sociaux. Certes, c’est le propre du roman d’aventures de s’emparer de mondes dépaysants mais, précisément, Thériault aurait pu développer davantage la dimension autoréférentielle du genre, et dévoiler un peu plus (par la parodie ou l’intertextualité, par exemple) les mécanismes de son œuvre, posant ainsi la question de l’utilisation d’un univers issu d’une culture éloignée de la sienne.

L’autre poncif de ce type d’ouvrage, qui ne semble malheureusement pas problématisé, est le rôle de la femme, mère/amante/amour. Elle ne sert que de point d’horizon au héros masculin, en mal d’absolu. Ni Yoko ni aucune des concubines de Matsuo ne possèdent d’intériorité bien définie, émancipée de la destinée du personnage principal.

Enfin (et ceci peut être lié au manque d’autoréflexivité du livre), le style de Thériault, certainement pas mauvais en soi, est tout au service de l’effet et de la mécanique prévisibles de l’aventure. Il demeure clair, efficace, mais conventionnel, à l’exception de passages oniriques plus réussis. En revanche, plusieurs des poèmes qui parsèment la trame narrative s’intègrent parfaitement à l’histoire: ils font preuve d’originalité et de fraîcheur, une dimension tout à fait appréciable du texte.

Le samouraï à l’œillet rouge est un roman d’aventures à la lecture agréable, mais qui colle peut-être trop au canevas traditionnel d’un genre ancien, qui arrive difficilement aujourd’hui à affirmer sa pleine littérarité, sans mise en tension ni remise en question de ses bases. L’effort d’imagination de Denis Thériault est toutefois remarquable, et les péripéties de Matsuo sont tout à fait palpitantes.

Auteur·e·s
Individu
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
Denis Thériault
Montréal, Leméac
2022, 352 p., 28.95 $