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Pleurer de bonheur à l’issue de l’horreur

Pleurer de bonheur à l’issue de l’horreur

Melchior Mbonimpa offre un roman riche en événements dans lequel on suit, de l’Afrique au Canada, un héros exceptionnel. Cependant, l’œuvre est desservie par quelques maladresses.

Thématique·s
Roman

Melchior Mbonimpa offre un roman riche en événements dans lequel on suit, de l’Afrique au Canada, un héros exceptionnel. Cependant, l’œuvre est desservie par quelques maladresses.

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L’intrigue d’Au sommet du Nanzerwé, il s’est assis et il a pleuré est à elle seule un plaisir d’aventures et de rebondissements. Elle retrace les parcours de deux frères, Mupagassi et Gassongati, nés quelques années avant l’indépendance de leur pays – un pays fictif qui, historiquement et géographiquement, évoque le Burundi natal de l’auteur. Grâce à l’intuition clairvoyante de leur mère, qui décide de les scolariser, les deux jeunes hommes s’adaptent aux bouleversements politiques s’abattant sur leur monde, dont une guerre civile impitoyable qui rappelle les conflits ayant opposé Hutu et Tutsi dans l’Afrique des Grands Lacs. Leur famille est massacrée, et ils aboutissent dans un camp de réfugié·es. Leurs routes se séparent: Gassongati choisit la voie de la confrontation armée; Mupagassi, celle des études, qui le mènera à Ottawa. Après des années, ils se retrouvent à la table des négociations de paix qui doivent pacifier leur pays. L’amour fraternel est encore fort, mais comment renouer avec le passé quand tant d’années d’exil et de violence divisent les êtres?

Picaresque

Le roman suit plus particulièrement le destin de Mupagassi, le plus jeune des frères, celui grâce à qui ils évitent le massacre et qui, après de brillantes études internationales, devient fonctionnaire à l’Organisation des Nations unies. La vitesse narrative du livre est parfois très élevée. S’enchaînent survie au camp, épisode de chasse, conflit armé, anecdotes et réminiscences, histoire d’amour et épreuve de l’exil dans une pléthore de situations évoquant le dynamisme des récits de formation européens du XVIIIe siècle: qu’on pense à Lesage ou à Marivaux, pour ce qui est du domaine francophone. Mupagassi, arraché à sa famille traditionnelle, voyage sans cesse et devient un témoin du monde. À l’instar des personnages des romans picaresques, il évolue tant socialement que géographiquement et assiste, en spectateur fasciné et curieux, aux coulisses de la comédie humaine. Il surmonte des difficultés extra-ordinaires avec un certain stoïcisme et une détermination que transpercent parfois la hantise de la jeunesse perdue ainsi que le souvenir des massacres et de la mort. L’équilibre entre l’expérience de l’homme qui se construit dans le tourbillon d’un devenir exceptionnel et la fragilité fondamentale est le pilier sur lequel reposent l’émotion et la profondeur du livre.

Le parcours africain des deux frères éclaire les réalités d’une région bouleversée par la colonisation européenne et par les guerres ethniques qui ont suivi. L’envers de ce décor est fascinant à découvrir. La façon dont une certaine «bourgeoisie» africaine s’est trouvée déstabilisée par le départ des «maîtres blancs», l’organisation d’une résistance dans les camps de réfugié·es, le braconnage de l’ivoire pour financer les conflits armés, l’exil des intellectuel·les et le déroulement des négociations de paix sont autant de sujets d’intérêt qui jalonnent le roman sans toutefois ralentir le rythme de la narration.

Mélodrame

C’est précisément quand le rythme ralentit que s’accumulent les maladresses, notamment lorsqu’il est question du quotidien nord-américain du héros et de sa vie amoureuse et familiale. Les dialogues pèchent par leur artificialité et leurs clichés. Cette tirade sur la grossesse est particulièrement probante: «Je comprends. Mais il n’y a pas que des angoisses dans les grossesses. Même s’il y en a qui sont difficiles, la plupart du temps, c’est une fabuleuse histoire d’amour, de communion physique entre une maman et son enfant […].» La narration s’adapte mal à la vie canadienne et s’empêtre dans des détails triviaux, des longueurs et des banalités. L’épouse du personnage est surnommée «sa douce et tendre»; lui-même est «prêt à relever de nouveaux défis». Dans sa seconde moitié, l’agréable roman d’aventures et de formation devient une sorte de mélodrame peu crédible qui aurait dangereusement compromis l’entreprise littéraire, si les négociations finales de paix et le retour en Afrique ne ramenaient pas un peu du souffle premier du récit.

Si ces failles alourdissent beaucoup l’ouvrage, peut-être traduisent-elles aussi l’impasse que représente la vie nord-américaine traditionnelle pour un rescapé de l’exil comme Mupagassi, un homme tourmenté par les deuils et les souvenirs, mais qui pleure pourtant de bonheur au sommet du mont dominant sa région natale, car il retrouve alors un pays pacifié et son frère après des décennies d’absence. Au sommet du Nanzerwé, il s’est assis et il a pleuré est un roman imparfait qui ne manque ni de cœur ni de force.

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Melchior Mbonimpa
Sudbury, Prise de parole
2020, 323 p., 26.95 $