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Phare sur la liberté - Traverser le miroir

Phare sur la liberté - Traverser le miroir
Autoportrait

Que fait bouger l’écriture en moi? Elle renverse ma langue pour la préciser, fait vibrer mes sens au regard des êtres et des choses, compose des partitions. Elle est engagement entier, nécessité de savoir, de comprendre, de situer et d’imaginer ce que nous sommes. Si j’écris, c’est pour trouver, à travers les mots, la liberté d’être, pour me donner à cette force vive d’exister, pour tenir debout. L’écriture est rencontre de soi et d’une somme de corps étrangers.

Qui suis-je? Née à Ottawa, enregistrée en tant que garçon sous le nom de Joseph à l’état civil, je présume que cela répondait au désir profond de ma mère d’avoir un fils comme premier enfant. J’ai dû, à l’âge de dix-huit ans, lorsque j’ai fait ma demande de passeport, jurer sur la Bible que j’étais bel et bien une fille nommée Diane, ce que les certificats de l’hôpital et de baptême confirmaient.

Et qui suis-je, en fait? Une femme, une fille aînée, une mère de deux enfants adultes, Yamé et Charlotte, et, par le cœur, de Sandrine, Sacha, Rafaela et Mehdi. Une amoureuse, une amie, un être engagé qui croit à la liberté d’être et de penser, qui estime que tous·tes ont le droit d’être qui ils et elles sont dans le respect de l’autre. La différence n’est pas une soustraction, mais une addition fabuleuse qui ouvre la pluralité aux territoires d’exister. La poésie se trame dans le désir d’être vivante. L’amitié, pour moi, est fondamentale.

J’écris les mots de ma pensée, celle qui m’habite enfant, alors que je marche sur les trottoirs de Pont-Viau. À cinq ans, je vais seule m’inscrire à l’école, puisque ma mère, qui a vingt-cinq ans, doit accoucher sous peu de son cinquième enfant et que mon père, mécanicien, travaille à la Canadian Copper à Montréal. Je marche depuis que je suis toute petite. Les yeux grands ouverts, curieuse de comprendre tout. «Pourquoi?» est ma question. Je la pose, sans égard aux impatiences qu’elle provoque. Je veux savoir. La banalité des réponses me force à chercher ailleurs, et cet ailleurs me nourrit dans ma marche. Les tracés des routes sont mes repères. L’écriture commence ainsi: par la marche, par l’altérité de penser, mais puisque penser n’est pas toujours nécessaire, me dit-on, il faut aller voir où cela existe, où cela résiste. Les livres me fascinent, depuis la magnifique édition des Aventures d’Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll, que ma sœur Lise reçoit de sa marraine, à L’Encyclopédie Grolier et à la Bible, que mes parents achètent et qui me plongent dans les contes, l’histoire, les faits du monde et des guerres bibliques. Je fouille avidement dans les volumes, tournant les pages qui ne cesseront d’être tournées, et les pages de tant d’autres livres que j’ouvrirai.

Depuis les premiers petits livres réalisés dans l’enfance à ma première publication à l’université, le récit d’une errante, celle-là même toujours présente dans mon imaginaire, cette figure de proue qui cherche, dans sa pauvreté et son dénuement, les sens à la vie. Grâce à Anne-Marie Alonzo et à sa revue Trois, si belle et essentielle revue des années 1980 et 1990, j’ai la chance de voir mes premiers textes publiés. Anne-Marie disait oui, accordait une place aux jeunes auteur·rices. À l’Université de Montréal, en études françaises, Monique Bosco a été essentielle, Jacques Brault, fin et juste, et Madeleine Gagnon, majeure dans les champs de la littérature et de la psychanalyse.

Sans une somme d’artistes du monde qui m’accompagnent, qui se demandent ce qu’est la liberté, l’engagement envers l’être, et investissent l’espace poétique de la pensée, là où s’éclatent les actes de la réflexion et de la rébellion, où serais-je? Celles et ceux rencontré·es qui pratiquent toute forme de création me nourrissent de façon intrinsèque. Il y a aussi les langues, qui me fascinent, et leur traduction. C’est pourquoi j’aime les éditions bilingues: elles me permettent d’aborder les langues originales. Même si elles me sont parfois incompréhensibles, je suis captivée par leurs graphies.

RégimbaldPhotographe : Valérian Mazataud

Écrire devient une réinvention des lectures, des chansons; une création de petites histoires, de poèmes qui m’amènent à puiser dans l’imaginaire, le foisonnement de symboles. J’ai voulu m’éloigner de ce qui me rapetissait. J’ai toujours aimé inventer. J’ai fait beaucoup de théâtre. Jouer, oui, jouer pour aller là où je n’osais pas, jouer pour connaître les personas des autres. Nager aussi, nager, toujours, pour sortir le corps de sa torpeur, de ses angoisses; nager pour entendre battre le cœur, pour retenir la respiration sous l’eau jusqu’à la délivrance. Rouler à vélo pour saisir le vent qui donne des ailes. J’ai été modèle vivant: dix ans à prendre des poses, à ressentir chaque muscle de mon corps, à respirer dans l’impulsion en arrêt, à ressentir ce qui bouge en moi dans une posture. Le mouvement pousse mon corps à voir devant, et la danse, que j’aime avec passion, m’extasie.

Mon visage se dévoile là où la lumière marque les jours et les nuits. Des années à travailler les mots afin de créer des projets de recherche-création qui deviennent des livres traversés par la voix, puisque c’est à voix haute que j’écris. Mes livres parcourent différentes thématiques qui se rejoignent: de l’altérité, première prémisse au risque d’être, au nom gravé comme une pierre, au don et au pardon à délivrer de la figure du père, au pas traversant le corps, à l’aurore et à ses réparations, à ce qui nous lie, à la forte puissance du vivant, aux filles et aux mères, aux attachements, aux disparitions, à toutes ces mythologies qui composent le monde.

La lecture fonde mon territoire d’écriture et certes, les situations du monde m’interpellent par leur urgence. Je m’engage dans divers mouvements féministes, notamment le Centre de santé des femmes de Montréal, dans des cercles littéraires, le Comité Femmes du Centre québécois du P.E.N. International. Avant tout, poursuivre la quête de sens de ce qui lie les êtres, particulièrement les femmes. C’est l’essentiel. Alors la traversée du miroir rompt le narcissisme.

Le voyage est promesse, fragilité, doute. Il signe un départ, provoque un déplacement hors du commun pour créer et rencontrer. C’est pourquoi j’aime les résidences d’écriture, qu’elles soient organisées ou non. Des résidences, notamment à Amsterdam et à Amay, où j’ai réalisé des projets.

Se donner cet espace étranger pour s’immerger dans un mouvement inconnu. Ce qui en adviendra demeure incertain. Il s’agit de l’expérience d’un laboratoire riche en tâtonnements, en essais et erreurs, en observation des lieux et des choses, en descente en soi, ce soi que l’on sait, en sa différence, inévitable.

Il y a mon regard porté à l’écoute des bruits et du silence, la langue qui se dépose, s’enfouit, s’incruste dans mes pores, prend les armes, résiste. Depuis la lecture que l’enfance m’a offerte, traverser la langue et déjà vouloir l’inventer, la recomposer, créer avec elle des virtualités à vivre avec les émotions, les sentiments de peur, de honte, de colère, d’amour. Avec elle, découvrir tout ce monde vaste, qui me traverse et court en moi depuis le temps ancré au passage de la vie, de ses douleurs et de ses disparitions. Et les questions qui émergent – comment habiter le monde? comment être vivante? – me poussent à errer, à marcher, à méditer, à verser au seuil mélancolique d’exister.

La figure de la marche évoque celle de l’avancée, d’un chemin que l’on crée au fur et à mesure que l’on va à sa destinée. Marcher, c’est partir, venir, revenir, disparaître. C’est aussi creuser son espace. La marche humaine, traversée des territoires, des lieux, de l’intime au dehors, de la voix, forge les paysages d’une improbable communauté. Elle m’ouvre aux questionnements de l’humain, aux limites à franchir, aux frontières et à ce qu’elles retiennent.

Ce que je cherche en poésie tourne autour de notre présence d’être vers un continuum poétique relié à l’identité, à la perte, à la disparition, dans une fascination pour les lieux et les espaces, pour ces paysages construits du monde, fenêtres sur nos altérités. Il me permet de poursuivre une réflexion sur l’amour et ses antinomies: lumière et ombre, vie et mort, posture et imposture. L’écriture est une porte qui s’ouvre vers la lumière, mais aussi un retour du côté de l’obscur. La poésie est pour moi l’expression d’une quête où je tente de saisir l’essence des choses, où je suis chavirée par les formes qui émergent, inattendues, surprenantes et révélatrices du désir. Malgré tous les doutes qui me tenaillent, j’entre dans le poème en souhaitant que les lieux de l’intime manifestent avec justesse et lucidité ce qui s’active au présent, devant soi.

Régimbald

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