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Passer à autre chose

Criant d’actualité, mais ne cédant jamais aux discours à la mode, l’ouvrage d’Anne Plourde retrace les marques du capitalisme et du néolibéralisme sur le système sociosanitaire québécois. Retour sur ce livre remarquable.

Essai

Criant d’actualité, mais ne cédant jamais aux discours à la mode, l’ouvrage d’Anne Plourde retrace les marques du capitalisme et du néolibéralisme sur le système sociosanitaire québécois. Retour sur ce livre remarquable.

Active au sein de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), Anne Plourde publie, avec Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé, un essai des plus éloquents. Basé sur de solides recherches et un travail d’enquête auprès d’actrices ayant œuvré dans le réseau de la santé québécois, le livre met au jour le carcan idéologique dans lequel les capitalistes – en tant que classe dominante – emprisonnent la conception de la santé et de la maladie. L’historicisation de cet «environnement idéologique» et l’examen du modèle des Centres locaux de services communautaires (CLSC) comme «forme alternative d’organisation des soins et des services» permettent d’envisager d’autres solutions qui demandent le dépassement du capitalisme… surtout à l’heure où les politiques sont imposées aux travailleuses à coup de décrets.

Le courage de l’histoire

Si la crise sanitaire actuelle a révélé à la population une fraction des ratés du système de santé public, il reste que les discours tenus par les autorités se conforment à une vision restreinte reproduite par la classe dominante et les amis du Québec inc. Par sa rigueur, le livre de Plourde fournit des armes pour recevoir de façon critique ces idées en circulation. Il historicise un système capitaliste qui se donne lui-même comme finalité et solution, notamment en le situant dans un continuum montrant bien son caractère passager. En relevant le défi de résumer, en quelques chapitres, l’histoire de la naissance du capitalisme et de sa conception de la santé, l’essayiste dresse la table pour une réflexion contestataire et avisée. Ce faisant, elle replace au cœur de la discussion l’importance actuelle du modèle «hospitalo-centriste» et curatif, qui a comme particularité de faire peser le poids de la santé et de la maladie sur les épaules des individus. Plourde souligne que cette rhétorique a l’avantage, pour les capitalistes, de préserver leurs intérêts de classe tout en niant «le rôle de l’organisation sociale […] dans l’état de santé des populations».

Abattre la première ligne

Le modèle des CLSC, loin de constituer un «échec» comme les gouvernements aiment le dire, incite l’autrice à proposer «des conceptions de la santé radicalement alternatives à celle qui prédomine»: «l’histoire de ces établissements constitue un puissant révélateur des potentialités, des limites et des contradictions à l’œuvre dans les rapports entre capitalisme et santé». Le désolant récit du sabotage des CLSC par les médecins – perçus en tant qu’ensemble, jamais en tant qu’individus à accuser – et les gouvernements successifs révèle une lutte des classes souvent passée sous silence. L’analyse du rapport au salariat (opposé à la rémunération à l’acte) est ici particulièrement convaincante. La réflexion exprime bien le malaise devant ce modèle axé sur la participation populaire et la représentativité au sein des milieux communautaires. Plourde démontre en outre une connaissance profonde du terrain, et les entretiens qu’elle a menés auprès de travailleuses chevronnées complètent de façon organique les passages qui auraient pu être arides. La chercheuse insiste tout particulièrement sur les rôles de l’État dans le développement des ressources ainsi que sur le financement complaisant des groupes de médecine de famille (GMF), pourtant détenus par des intérêts privés et autres fiduciaires.

L’essai témoigne des luttes de pouvoir que la création des CLSC a pu provoquer. Le présent se voit éclairé par le passé ainsi décortiqué: il s’agit de montrer comment le système public de santé et de services sociaux est gangrené par les conflits idéologiques et l’avidité même du système. Par le biais de graphiques, d’analyses fines et de comparatifs, l’autrice déboulonne le mythe du manque de ressources financières. Pour prendre soin, le «dogme budgétaire» doit être renversé, et le pouvoir redonné aux travailleuses en tant que classe. Le point d’orgue du livre, «Six solutions pour préparer l’après-pandémie en santé et services sociaux» (et dépasser le capitalisme), ouvre de façon lumineuse la réflexion. Loin d’être utopiques, ces propositions se démarquent par leur intelligence et leur compréhension sensible de l’histoire.

D’une irréprochable clarté, Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé fournit tous les outils pour appréhender l’irrémédiable crise climatique sous l’angle sanitaire. La situation québécoise se dessine dans chaque chapitre, donnant, à la lecture, une impression d’urgence: celle de repenser, au-delà des allégeances politiques et des lignes des partis, notre rapport à la santé et aux communautés, aux modes de gestion démocratiques et populaires ainsi qu’à la primauté du milieu des affaires sur la vie quotidienne.

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Anne Plourde
Montréal, Écosociété
2021, 288 p., 27.00 $