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Orphée radotant à la taverne

Orphée radotant à la taverne

«Qui a décidé que Rimbaud était important? Ni toi, ni moi. On se le fait imposer. Je ne déteste pas ce qu’il écrit évidemment, mais Rimbaud c’est bon pour Francœur, c’est un waiter de la littérature.»

Denis Vanier, Lettres québécoises, no 21, 1981.

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Essai

«Qui a décidé que Rimbaud était important? Ni toi, ni moi. On se le fait imposer. Je ne déteste pas ce qu’il écrit évidemment, mais Rimbaud c’est bon pour Francœur, c’est un waiter de la littérature.»

Denis Vanier, Lettres québécoises, no 21, 1981.

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Entreprise noble et nécessaire que celle de vouloir faire lire la poésie. Tristement, l’occasion est manquée de nous en transmettre la passion. Jean-François Poupart a beau nous prévenir et s’en excuser («Je ne parle d’aucun poète vivant, d’aucun de ceux que j’ai publiés et peut-être d’une ou deux poètes [femmes]»), on ne trouvera rien dans ce court essai pour donner envie de lire la poésie vivante (et encore moins naissante), certainement la plus à même de susciter la curiosité des non-lecteurs à découvrir le genre. Non que je doute que Poupart ait su influencer plusieurs générations d’étudiant·es à découvrir la poésie et apprendre à l’apprécier, puisqu’il l’a fait et le fait toujours. Mais il y a une marge entre donner des cours passionnés et passionnants devant une classe et offrir pour argument cet essai tourné vers des splendeurs anciennes.

Bien sûr, Baudelaire, Rimbaud, Novalis, Racine, bien sûr. On doit les enseigner — et je sais d’expérience que certain·es jeunes apprenant·es préfèrent la métrique rassurante et les formes fixes comme prise ferme sur le texte poétique. Je ne contesterais même pas, par ailleurs, que la poésie contemporaine doive être comprise à l’aune des grands maîtres qui ont façonné la modernité. Encore faut-il s’y rendre, au contemporain, et voilà l’angle mort de cet ouvrage, tout bien intentionné soit-il, qui nous ressert une vision essentialiste et romantisée à l’extrême de la poésie, et qui ne saurait moins m’émouvoir. Il me tarde de lire un plaidoyer pour la poésie qui n’use pas de la sempiternelle fascination pour le mythe du poète voleur de feu.

Lyre et délire

La méthode de Poupart est aussi simple qu’inefficace, et se caricature ainsi: un extrait de poème, annoncé comme un chef-d’œuvre, est présenté et suivi d’un commentaire sommaire, du type n’est-ce pas que cela est transcendant. Le jeune lecteur réfractaire à toute autorité que j’étais à dix-sept ans n’aurait été que peu impressionné par ces pétitions de principe — à moins que le charisme du professeur ait agi sur ma perception, mais c’est une autre question: nous ne sommes pas ici en cours.

On ne pourra certes reprocher à ces envolées péremptoires de manquer de conviction, mais cela suffit-il jamais?

Je vous donne à lire trois poèmes illustrant, selon moi, les hautes sphères où parfois l’esprit humain peut aller. Ils furent volés à une cité mystérieuse qu’on pourrait nommer l’imagination absolue et, comme les pilleurs des tombeaux des pharaons, leurs auteurs ont subi après coup un effondrement spirituel, sorte de punition divine pour s’être nimbés d’orgueil en dévoilant un tel secret.

Suivent des poèmes de Poe, Nerval et Rimbaud, effectivement fort beaux. Leur analyse est considérablement moins convaincante. «Cité mystérieuse», «imagination absolue», «punition divine», «secret»: il m’a été pénible de poursuivre ma lecture après ce passage aussi dépourvu de potentiel éclairant pour rallier des lecteurs au poétique. Il suffit d’appliquer cette conception essentialiste de la poésie — qui suppose que le Poème préexiste dans un éther bien gardé que seul le véritable Poète sait atteindre — à l’œuvre d’une Nicole Brossard, d’une Louise Dupré ou d’un Baron Marc-André Lévesque pour en mesurer l’absurdité. Si l’image du poète maudit peut effectivement séduire à l’adolescence, elle apparaît particulièrement surannée comme porte d’entrée («clé ouvrant aux grands voyages de la poésie», espère l’auteur) aux quelque cent cinquante années de poésie qui ont suivi le Parnasse, la décadence et le symbolisme. Il faudrait pouvoir revenir du mythe orphique — mais affirmant cela, je me révèle inévitablement comme le «poète universitaire»,
qui «tamise, exclut, quantifie et note la poésie», selon Poupart.

La suite est tissée à l’avenant, montrant de manière évidente ses coutures, qui soulignent la disparité des chapitres et leur effet de collages, pire écueil du recueil d’essais, qui n’est pas esquivé. Un billet polémique, très court, sur la création poétique à l’université n’est pas dénué d’intérêt, mais il est inséré à la va-comme-je-te-pousse dans le livre. En quoi, par ailleurs, éclaire-t-il le sujet du livre? La question demeure entière. Semblablement, le chapitre sur Breton est un bel hommage à ce singulier défricheur d’images, mais l’égarement du propos à son sujet (Breton parisien comme Lou Reed était new-yorkais?) ne se justifie pas même d’un emprunt aux manières surréalistes. L’ouvrage se clôt sur des morceaux choisis d’entretiens menés par Poupart avec Yves Bonnefoy (1923-2016), maître à penser du premier. Disproportionnée en longueur (et dont l’intégralité avait déjà été publiée en 1998), la section, qui sert d’abord à établir la connivence entre deux hommes partageant une vision commune de la poésie, s’avère néanmoins la plus intéressante. Bonnefoy se rappelle à nous comme un penseur sensible aux enjeux qui m’apparaissent plus réels pour appréhender la poésie. C’est bienvenu.

Je me croise les doigts pour qu’un second tome annoncé, «moins disparate, moins emporté», soit publié rapidement, afin de limiter le gâchis. ♦

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Jean-François Poupart
Montréal, Poètes de brousse
2018, 136 p., 18.00 $