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« On ne doit la minceur à personne »

« On ne doit la minceur à personne »

Gabrielle Lisa Collard, «en crisse», mais aussi «à bout de souffle», réfléchit à son militantisme antigrossophobie, entre autres en rassemblant des textes de son blogue.

Essai

Gabrielle Lisa Collard, «en crisse», mais aussi «à bout de souffle», réfléchit à son militantisme antigrossophobie, entre autres en rassemblant des textes de son blogue.

Dès le début de Corps rebelle: réflexions sur la grossophobie, on comprend qu’il ne s’agit pas que d’un recueil des billets du blogue Dix Octobre, que Gabrielle Lisa Collard a tenu de 2016 à 2020. Si les extraits de ce dernier occupent une grande place et rendent compte du cheminement du militantisme antigrossophobie de l’autrice, ils sont surtout bonifiés par une réflexion personnelle actualisée et par des inédits qui complètent cet «ouvrage militant». En effet, les «billets d’humeur» sélectionnés et les nouvelles contributions permettent à l’écrivaine de poser un regard critique sur son parcours et de mobiliser un autre genre que celui du blogue, soit l’essai, pour accomplir un travail réflexif, culturel et politique grâce auquel elle déploie sa posture antigrossophobie et mesure les avancées de cette cause.

Dans la foulée de Mickaël Bergeron et d’Édith Bernier, au Québec, ainsi que de Sabrina Strings et de Roxane Gay, aux États-Unis, Collard poursuit le développement d’une pensée nécessaire autour du poids, du corps, de la grossophobie et de la santé – pensée que l’on souhaite toujours plus inclusive et représentative. L’essayiste préconise l’approche non stigmatisante «Health at Every Size®», qui s’oppose à celle «centrée sur le poids […]. Il s’agit également d’un mouvement qui vise […] à mettre fin à la discrimination fondée sur le poids et à mettre fin à l’obsession culturelle de la perte de poids et de la minceur.» Bien organisés, les cinq chapitres de l’ouvrage expliquent les enjeux systémiques de la grossophobie et montrent habilement que «[r]éduire l’enjeu de la diversité corporelle à une affaire de self-love, c’est passer solidement à côté du point».

Revendications et reconnaissance

En introduction, Collard explique que Dix Octobre était nécessaire mais exigeant, et qu’elle a dû y mettre un terme parce que «c’est la job plus intime de ce qu’impliquait être Dix Octobre qui était en train de m’achever». La pandémie et le fait que le blogue soit devenu «l’espèce de hotline de dénonciation de la grossophobie officielle du Québec» auront eu pour effet que l’autrice devienne «douloureusement consciente de l’ampleur et des impacts négatifs de la grossophobie». Le livre se veut donc un espace où elle prend du recul par rapport à ce projet et l’inscrit plus largement dans la lutte contre la grossophobie, tout en poursuivant autrement «la défense de [s]a communauté». À cet égard, Collard précise que cette communauté n’est pas «un bloc monolithique», et que «[l]es grosses blanches de mon âge ont en masse de tribunes». Elle souligne aussi que «[l]es grosses blanches avec un budget correct sont vraiment pas aux premières lignes du combat, ont rien inventé et sont loin de recevoir les plus gros coups». Fidèle à ce travail louable de reconnaissance, au fil de l’ouvrage, de son privilège blanc, l’essayiste nomme également celui de pouvoir faire une pause, ce qui n’est pas possible pour tous·tes: «Prendre un break est un privilège et je me trouve chanceuse de pouvoir le faire.» On apprécie ce devoir de positionnalité, cette posture relationnelle explicitée, cohérente, qui montre qu’«[a]vec la visibilité vient une responsabilité».

«Tant et aussi longtemps qu’on se déteste, on achète»

Collard vise aussi particulièrement juste lorsqu’elle dénonce les récupérations pernicieuses du mouvement body positivity «par les compagnies de cossins» et les réseaux sociaux. Malgré les avancées, et bien qu’elle se «reconnais[se] plus souvent qu’avant dans les pubs et les photos de certaines marques sur Instagram», elle ajoute que cette récupération capitaliste malsaine

ne fait strictement rien pour mon fat ass et mon accès à toutes les choses qui me reviennent de droit, comme l’amour-propre, la représentativité, des soins de santé adéquats et le respect.

Ce ton bien affirmé, que l’autrice qualifie d’«insolent», ainsi que son style parsemé de franglais et de formes langagières populaires exacerbent les affects de ce savoir citoyen et militant offert dans le livre. À la fois travail de réflexion et d’information, Corps rebelle propose un discours antigrossophobe convaincu et convaincant, jamais moralisateur. Militante épuisée, Collard admet sa vulnérabilité et la met à profit, s’adressant tant à «sa communauté», aux allié·es, qu’à «une société violente» où il ne devrait pas être nécessaire de «se rapetisser pour avoir le droit de s’aimer et d’exister en paix».

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Article au format PDF
Gabrielle Lisa Collard
Montréal, Québec Amérique
2021, 168 p., 22.95 $