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Monte-Cristo sous oestrogènes

Monte-Cristo sous oestrogènes

Deuxième roman d’Hugo Meunier, Olivia Vendetta consolide la position d’équilibriste de son auteur, miraculé des entreprises foireuses qui pose le pied sur des filins toujours plus hauts et glissants, sans que la grâce le quitte.

Polar

Deuxième roman d’Hugo Meunier, Olivia Vendetta consolide la position d’équilibriste de son auteur, miraculé des entreprises foireuses qui pose le pied sur des filins toujours plus hauts et glissants, sans que la grâce le quitte.

Mais peut-être l’image funambulesque n’est-elle pas la bonne. Plutôt spécialiste imperturbable du grand écart? Non, expert de la mise des pieds dans les plats! Toujours est-il qu’Hugo Meunier semble avoir une passion pour les positions inconfortables. Dans son premier livre, Le patron (Stanké, 2019), il proposait une enquête sur un groupe terroriste de wokes, mêlée à un portrait glaçant de la radicalisation d’un jeune homme masculiniste. Cette fois, c’est, tenez-vous bien, un genre de Monte-Cristo trans et nostalgique des années 1990 ainsi que de l’alignement inaliénable des bungalows. Ou peut-être est-ce un mélange entre la voie «philosophico-spirituelle» de Siddhartha (1922), d’Hermann Hesse, et celle, plus prosaïque, de Karaté Kid (encore que…). On en perd son latin. La faute aux cultural studies et à leur relativisme, faut croire. Mais voilà, Meunier me place à mon tour dans d’intenables positions que je dois au moins tenter de vous expliquer!

Le calvaire de l’adolescence

Sachez d’abord que l’auteur a fait le choix audacieux (suicidaire?) d’opter pour une narratrice trans. Il ne résiste d’ailleurs pas à l’envie de s’expliquer en postface. Je laisse aux lecteur·rices le soin de faire son procès. Je préfère saluer le tour de force de ce qui ne doit pas avoir été aisé à faire passer avec autant de crédibilité.

À l’occasion du vingtième anniversaire du bal des finissant·es du secondaire, Olivia revient expressément d’un long voyage en Inde pour un conventum tenu dans une cabane à sucre. Au rythme des retours en arrière, on revit avec force détails l’adolescence traumatique de la protagoniste et de ses quelques ami·es. Si on dit souvent que l’enfance, c’est l’innocence, on oublie plus volontiers que l’adolescence est pour beaucoup un apprentissage des limites de la cruauté. Sujet bien à la mode que l’intimidation, me direz-vous. Bien sûr, n’empêche que c’est par l’originalité de leur ton, leur humour débonnaire et leur profondeur – qui donne parfois l’impression d’être inassumée – que les livres de Meunier sortent avec évidence du lot. Grossophobie, homophobie, ridiculisation des handicaps et attaques vicieuses visant la moindre différence: la bande d’Olivia se construit envers et contre les tortures, qui sont autant de jeux pour leurs petits bourreaux à la gloire éphémère. Comme si nous étions les juges du crime à venir, Olivia ajoute toujours plus d’éléments infamants à la preuve. Elle nous met au défi de juger injuste sa vengeance à venir, pierre angulaire de sa reconstruction:

Simon, le viol est le pire crime que l’on puisse commettre. Profiter d’une supériorité physique, faire du chantage ou de la manipulation pour transgresser la chose la plus importante qui soit, la sacralité de l’être humain, n’est pas un comportement digne d’un homme, mais relève de l’animal. […] Je te condamne à être privé de la seule chose que tu sembles valoriser: ta masculinité. Comme elle est toxique, ta condamnation sera de réapprendre à vivre sans elle.

La revanche des nerds

Aussi jouissive que la vendetta longuement mûrie d’Edmond Dantès, celle d’Olivia paraît également universelle. Ayant passé plusieurs années à apprendre le kalarippayatt, un art martial indien et ancestral, la narratrice a maintenant les moyens de ses ambitions. Elle a tout prévu dans les moindres détails pour rendre justice à elle-même et à chaque nerd qui viendra après. Mais son cheminement n’a pas non plus été que martial, loin de là. Une bonne partie du livre relate le changement intérieur du personnage, les conflits qui en ont découlé et les ami·es qui l’ont favorisé. Comme dans Le patron, Meunier démontre un talent prononcé pour mettre en scène des dialogues relevés et aborder des questions complexes avec des moyens qui paraissent de prime abord presque triviaux. Il y aurait certainement un rapprochement à établir avec l’œuvre de Mathieu Poulin qui, sous des oripeaux de vaste connerie, touche aux failles sociétales du Québec moderne de même qu’au fossé intergénérationnel, qui ne cesse de se creuser. Par ailleurs, notons que Meunier a acquis une assurance qu’il n’avait pas encore pleinement au moment de la publication de son premier opus. Comme si quelque chose s’était placé dans sa structure narrative, toujours aussi éclatée, mais mieux huilée. Désormais, l’écrivain en fait moins pour arriver à un résultat similaire.

Les amateur·rices de romans policiers trouveront dans Olivia Vendetta la même science du rythme, érigée au rang de commandement chez les spécialistes de polars. Ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’Hugo Meunier ne devienne un romancier réellement populaire – au meilleur sens du terme.

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Hugo Meunier
Montréal, Stanké
2021, 304 p., 27.95 $